Les violences ont déjà fait 6 morts à moins d’une semaine des élections générales. Et après l’incendie d’un entrepôt contenant du matériel électoral, majorité et opposition s’accusent mutuellement de vouloir saboter le scrutin pour reporter une nouvelle fois une présidentielle très attendue.
La campagne électorale en RDC a pris une tournure inquiétante à quelques jours de l’unique tour de scrutin, prévu le 23 décembre prochain. Des rassemblement de l’opposition ont été violemment réprimés par les forces de sécurité et les déplacements de l’opposant Martin Fayulu ont été plusieurs fois entravés. Les jets privés affrétés pour la campagne de la coalition Lamuka, portée par Martin Fayulu et soutenue par Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, ont eu du mal à être autorisés à atterrir sur les lieux des meetings. A Kindu, fief du candidat du pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary, l’avion de Martin Fayulu n’a pas reçu l’autorisation de se poser. Des avions de l’armée congolaises avaient fait le siège de la piste pour y déposer… du matériel électoral. A Goma, le décollage du jet privé de l’opposant a été retardé pendant plus de trois heures.
Fayulu non grata dans le fief de Katumbi
Mais c’est à Lubumbashi que la situation a dégénéré pour le candidat de Lamuka. Sur les lieux prévus de la rencontre publique, la police a commencé à tiré pour disperser plusieurs centaines de personnes avant l’arrivée du candidat. Gaz lacrymogènes, canons à eau… tout a été utilisé par les forces de sécurité congolaises pour dissuader les Katangais d’accueillir Martin Fayulu. Un bilan dressé par l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ) a fait état de de 2 morts, 43 blessés dont 15 par balle.
L’ex-Katanga constitue un enjeu important de cette campagne électorale. La province représente un réservoir important de voix, mais reste également le fief disputé du président Joseph Kabila, de nombreux caciques du pouvoir, mais aussi celui de son ancien gouverneur, l’homme d’affaires Moïse Katumbi, en exil forcé en Europe, et soutien financier important de la campagne de Martin Fayulu. Le 12 décembre, la campagne de Lamuka a été de nouveau interrompue, cette fois à Kalemie, dans la province du Tanganyika. Une jeune femme a été tuée et au moins neuf autres personnes ont été blessées, dont deux par balles.
Deux poids, deux mesures
L’autre opposant en lice dans cette présidentielle ne semble pas subir les même foudre du pouvoir. Félix Tshisekedi (UDPS) et son « ticket » Vital Kamerhe (UNC) ont pu battre campagne sans entraves, même si l’UDPS dénonce des violences en marge des meetings. A Mbuji-Mayi, une ville acquise à l’UDPS, un militant du parti a été tué alors que le candidat Félix Tshisekedi n’était pas encore arrivé dans la capitale du Kasaï-oriental. Mais l’impression de deux poids deux mesures entre la répression accrue envers le candidat Fayulu, et une certaine mansuétude des forces de sécurité envers le ticket UDPS-UNC, a ravivé les tensions entre les deux principaux opposants. Le camp Fayulu accusant Tshisekedi et Kamerhe d’être des candidats autorisés par le pouvoir en vue de négocier une nouvelle transition avec Joseph Kabila.
Incendie à la CENI
Mais l’événement le plus inquiétant de cette campagne, qui pourrait remettre en cause la tenue du scrutin, est sans aucun doute l’incendie dans la nuit de mercredi 12 à jeudi 13 décembre d’un entrepôt de la Commission électorale (CENI) à Kinshasa. Les dégâts sont énormes. Selon la CENI, 77% de l’équipement qui devait être utilisé dans la capitale pour l’élection présidentielle du 23 décembre a été détruit. Environ 8.000 machines à voter sur 10.300 ont été détruites, tout comme 3774 isoloirs, 800 motos et 15 véhicules. Le ministre de l’Intérieur a affirmé que la CENI disposait de matériel de rechange qui pourrait être rapidement déployé et la Commission a assuré de la poursuite du processus électoral. Mais pour beaucoup, le risque d’un nouveau report des élections se rapproche.
Car pour les autorités congolaises, la piste criminelle est privilégiée. Et le coupable est tout trouvé en la personne de Martin Fayulu. L’opposant qualifié de « radical » a toujours dénoncé l’utilisation de la machine à voter, qu’il appelle « machine à voler » ou « machine à tricher ». Dans un tweet du 13 septembre 2018, Olivier Kamitatu, porte-parole de Moïse Katumbi et soutien actif de la coalition Lamuka, menaçait d’ailleurs de les détruire. « Le rejet est total ! Si Corneille Nangaa (le président de la CENI, ndlr) s’entête à imposer ses 100.000 machines à tricher, il devra déployer derrière chacune d’elle un policier pour qu’elles ne soient pas cassées, détruites, brûlées ! Les Congolais vont se charger de faire respecter la loi électorale. »
Du côté de l’opposition, on pense au contraire que c’est le pouvoir qui est derrière l’incendie de l’entrepôt de la CENI. Face à la popularité grandissante de Martin Fayulu dans les provinces, « le régime est pris de panique » estime un cadre de Lamuka.
Vers un nouveau report des élections ?
Qui a intérêt à retarder le processus électoral ? En fait un peu tout le monde. Et tout d’abord, en premier lieu, Joseph Kabila. On se souvient que le président congolais a déjà reporté l’élection présidentielle par deux fois, car son dernier mandat était arrivé à son terme fin 2016 et qu’il n’avait plus le droit de se représenter. Mais sous la pression des manifestations populaires et des sanctions internationales, il a renoncé à se porter candidat et a consenti à organiser les élections en décembre 2018.
Mais après deux semaines de campagne électorale, on se demande si Joseph Kabila est si sûr de la victoire de son « dauphin », au moment où Emmanuel Ramazani Shadary peine à mobiliser et où l’opposition enflamme les foules aux quatre coins du Congo. Dans l’incertitude, Joseph Kabila pourrait être tenté par un troisième report, dont le scénario est prêt depuis longtemps : problèmes logistiques, retards dans le déploiement des machines à voter, des procès-verbaux papier encore bloqués en Afrique du Sud… et maintenant l’incendie de l’entrepôt de la CENI à Kinshasa. Toutes ces contraintes pourraient donner des arguments de poids aux autorités congolaises de repousser de quelques mois le scrutin.
La dernière carte de Kabila
Mais d’un autre côté, le pouvoir n’a pas tout à fait tort de penser qu’un report du scrutin pourrait aussi arranger la coalition Lamuka. Car en désignant Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition, les deux recalés du scrutin, Jean-Pierre Bemba, dont la candidature a été invalidée et Moïse Katumbi, qui n’a pas été autorisé à rentrer au pays, attendent leur tour en coulisse. Et d’ailleurs, le candidat Fayulu n’a pas été désigné pour présider à la destinée de la RDC pendant 5 ans, mais juste 2 ans, le temps d’organiser les conditions d’une élection crédible et transparente à laquelle devrait participer Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi.
Un nouveau report de l’élection laisserait donc encore un peu de temps au « duo des exclus » pour négocier une nouvelle transition et leur possible retour dans le jeu politique. Le report du scrutin, s’il est possible mais peu probable, reste la dernière carte de Joseph Kabila pour encore peser sur une élection qu’il n’a jamais souhaité, en tout cas pas sans sa candidature.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia