Des milliers de Congolais sont venus soutenir ce weekend le meeting des principaux leaders de l’opposition à Kinshasa. Les opposants ont fustigé l’utilisation de la machine à voter et le fichier électoral, mais ils ne se sont toujours pas prononcés sur le nom du possible candidat commun de l’opposition à la présidentielle de décembre.
C’était une première dans l’histoire de l’opposition politique en République démocratique du Congo (RDC). Ce samedi, s’est en effet tenu le premier meeting unitaire de l’opposition congolaise face au Stade des Martyrs de Kinshasa. Félix Tshisekedi (UDPS), Vital Kamerhe (UNC), Martin Fayulu (Ecidé), Freddy Matungulu (Congo na Biso) et Adolphe Muzito étaient tous réunis sur la même tribune. Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, empêchés de participer à la présidentielle, sont intervenus par téléphone ou vidéo-conférence.
Les autorités congolaises, qui ont autorisé le rassemblement après 20 mois d’interdiction de tout meeting politique, n’avaient pourtant pas facilité la tâche aux sympathisants des différents partis d’opposition. Les bus de la compagnie Transco étaient tous « en entretien général » ce samedi, et plusieurs monticules de sables avaient été déversés innocemment aux abords du lieu du meeting. Malgré ces obstacles, les militants d’opposition étaient bien au rendez-vous de premier meeting commun. Plusieurs milliers selon les observateurs présents.
Contre la machine à voter et le fichier électoral
Avant l’arrivée des principaux ténors sur scène, la star de ce rassemblement était sans aucun doute la machine à voter, que les opposants appelle la machine à tricher. La première revendication de cette mobilisation était de protester contre « la parodie électorale » qui se prépare au Congo. A la tribune, les orateurs ont tous rejeté l’utilisation de la machine à voter, source d’une possible fraude à grande échelle. Autre sujet d’inquiétude : la crédibilité du fichier électoral. Selon l’opposition, 10 millions d’électeurs seraient inscrits sans empreintes digitales.
Pour Vital Kamerhe, le pays se prépare à « une farce électorale (…) à cause de la machine à voter, ou des listes électorales », mais aussi à cause « de l’incertitude sur le financement des élections, ou de l’insécurité croissante dans l’Est du pays ». Mais au-delà de l’exigence d’un scrutin équitable, crédible et transparent, l’opposition sait qu’elle ne peut continuer à avancer en ordre dispersé face aux électeurs Congolais. Et le principale message de ce meeting commun était d’afficher l’unité de l’opposition… et couper l’herbe sous le pied aux tentations de la division. « Sachez qu’à partir d’aujourd’hui (…) nous venons de constituer une seule famille. Si vous voulez insulter l’un d’entre nous, il faut nous insulter nous tous. Si vous voulez soutenir l’un d’entre nous, il faut nous soutenir nous tous » a prévenu Félix Tshisekedi.
« Donnez-nous un peu de temps »
Pourtant, chacun sait que la bataille des égos fait rage au sein de l’opposition. Pour preuve, l’épineux dilemme du candidat unique, indispensable dans une élections à un seul tour de scrutin, est encore loin d’être tranché, à trois mois de la présidentielle. « Donnez-nous un peu de temps, 10 ou 5 jours, comme l’a dit Jean-Pierre Bemba et nous allons choisir un candidat commun », a cherché à rassurer Adolphe Muzito, lui aussi recalé par la Cour constitutionnelle pour concourir aux élections. Mais le choix est épineux.
Deux candidats font office de favoris. Félix Tshisekedi, légèrement en tête, et Vital Kamerhe, toujours accusé de faire le jeu du pouvoir. Mais il n’est pas dit que les opposants réussissent à se mettre d’accord sur un de ces deux noms. Katumbi a toujours soutenu Tshisekedi et le choix de Bemba pourrait se porter sur Kamerhe. En cas de désaccord, l’option du plus petit dénominateur commun pourrait faire pencher la balance vers un autre candidat, moins clivant, comme Freddy Matungulu ou Martin Fayulu. On imagine mal, alors, que Félix Tshisekedi ou Vital Kamerhe laissent tomber la course à la présidence. Et donc… adieu à la candidature unique.
Boycott ?
Plus le temps passe et plus l’équation de la candidature unique semble hypothétique. « Chaque chose en son temps, tempère Martin Fayulu. Aujourd’hui, il faut d’abord que le peuple comprenne que nous ne pouvons pas aller à l’abattoir, là où Kabila veut nous amener ». Et face au chaos électoral annoncé, l’option d’un boycott du scrutin refait surface. Cette stratégie reste encore minoritaire au sein de l’opposition, chacun se rêvant encore comme le candidat unique tant recherché. Mais une fois le nom connu (ce qui reste très incertain), les candidats déçus pourraient se rabattre sur cette option.
En attendant, la majorité présidentielle, qui s’attèle à faire connaître Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila, joue sur du velours. Les atermoiements de l’opposition à désigner un candidat unique sont régulièrement raillés par les cadres du parti présidentiel. Selon André-Alain Atundu, « l’opposition n’est tout simplement pas prête pour aller aux élections ». L’argument n’est certes pas complètement faux, mais en pratiquant le débauchage des opposants et en disqualifiant les deux poids lourds de l’opposition (Katumbi et Bemba) le pouvoir a tout fait pour atomiser les maigres espoirs d’une alternance réussie à la tête de l’Etat congolais. Une stratégie pour l’instant gagnante pour le camp Kabila.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
On l’entend et on le lit presque partout : pour nombre de Congolais le meilleur moyen de s’opposer à la prise en otage du pays par les apprentis dictateurs qui nous tiennent lieu de dirigeants, c’est de refuser de participer au système, « les élections ne peuvent ainsi être une arme de libération de l’occupation, tous ceux qui y vont ne sont que des accompagnateurs de l’occupant », entend-on dire. On y va alors chacun de sa solution, une « reconquête armée », un « soulèvement populaire massif et décisif » ou encore une « transition citoyenne sans ‘JK’ ». Le hic, tout le monde en conviendra est qu’il est plus facile d’en parler que de réaliser l’une de ces solutions !
Mais qu’était-ce Meeting et que nous a-t-il révélé ? Aussi, une participation populaire spontanée significative : quel que soit le cadre, quels que soient les griefs qu’on peut porter à nos « opposants », le peuple qui reste après tout le réel souverain primaire d’où tout doit partir a répondu à son appel. C’est dire aussi que tous ceux qui retirent toute légitimité à cette « opposition collabo » feraient mieux de se demander de temps à autre s’ils ont toujours tout le quitus du peuple pour parler en son nom. Passons…
Sinon quatre constats vite faits sur ce meeting :
1° D’abord personnellement j’ai été satisfait de la fermeté et de l’unité dont y ont fait montre les sept ténors de l’opposition : après leurs réunions à Bruxelles puis en Afrique du Sud, ils nous confirment leur volonté d’aller unis aux élections et refusent une parodie d’élections qui les conduirait à l’abattoir en victimes consentantes, impuissantes et ignorantes.
Pourvu qu’ils s’y tiennent et ne succombent pas au chantage du pouvoir qui sans honte les accuse de ne vouloir des élections ou simplement de n’être pas prêts parce qu’ils veulent celles-ci crédibles, ânonnant au passage que le retrait de la machine à tricher et le nettoyage du fichier de ses électeurs fictifs renverrait les scrutins à plus tard. A y confondre pitoyablement le pompier et le pyromane : ce n’est pas parce que le premier s’applique à éteindre l’incendie que le second en serait blanchi et doit l’en accuser lamentablement le premier.
2° Satisfait aussi comme je le disais de l’affluence populaire (malgré l’absence des transports en commun curieusement en ‘entretien’). Le peuple y est allé débonnaire de son enthousiasme spontané pour dire son adhésion à l’opposition et ainsi crier non au complot pervers du pouvoir (vous verrez très vite celui-ci commanditer une manifestation concurrente à coup de billets de banque et autres cadeaux…).
Renseignement supplémentaire : tout s’est passé dans le calme, sans victimes ni dégâts collatéraux, c’est dire que c’est du côté des sbires du pouvoir que viennent les violences…
3° Cela dit, c’est vrai que le plus dur commence pour cette opposition. Il serait pour le moins imprudent d’en tirer un optimisme immodéré vers leur victoire assurée : non seulement le pouvoir en face dispose de plus d’un tour dans son sac pour contre-attaquer jusqu’à la diviser une fois de plus, mais aussi une autre difficulté sur le chemin de l’opposition commence : personne n’ignore en effet qu’entre leaders et partis respectifs de l’opposition subsistent des ambitions, égos, divergences de priorités et programmes somme toute logiques mais qui n’en limitent pas moins leurs latitudes à s’entendre et pire à se choisir ce candidat et ce programme communs pourtant indispensables vers plus de chances de victoire.
C’est leur prochain et vital défi et celui du pays : y arriveront-ils sereinement et utilement sans sacrifier aux atermoiements passionnels et sectaires de leurs ouailles respectives ?
Une parade efficace serait que dès maintenant ils ne s’encombrent pas de scrupules inutiles et s’entendent d’ores et déjà sur un programme de gouvernement concret où ils se partagent responsabilités et postes dans une gouvernance clairement définie.
4° Enfin il nous faut bien évoquer un dilemme supplémentaire d’importance au passif de cette opposition au-delà de leurs égos et ambitions respectifs , Il est « d’ordre stratégique mais relèverait aussi selon certaines sources d’une divergence d’objectif » : que feront-ils si aucune de leurs revendications essentielles – ‘machine à tricher, fichier pollué’ – n’est satisfaite, pourquoi ne décident-ils pas de le trancher d’ores et déjà ?
– Stratégiquement ce n’est pas le moment d’affirmer ouvertement par exemple que dans ce cas ils boycotteraient le processus, non seulement on les accuserait dès cet instant d’être responsables d’un éventuel abandon délibéré du processus et donc coupables d’entraver les tentatives de retour à l’ordre institutionnel mais aussi ils se priveraient ainsi des moyens de pression plus insistants de tenter de bousculer le pouvoir et d’en obtenir des concessions.
– Ailleurs certaines rumeurs font état d’une divergence d’objectif final entre eux : un camp largement composé d’« invalidés » serait prêt à quitter le processus si leurs revendications n’obtiennent satisfaction tandis qu’un autre camp essentiellement composé de « validés », et autour de Tshilombo et son Udps, semble-t-il, s’entête à aller aux élections quelle que soit l’issue de leurs réclamations.
Qu’en dire sinon que la voie du deuxième camp les priverait à l’avance de l’opportunité de vaincre d’une façon ou d’une autre ‘JK’ et lui offrirait ainsi une bouée de sauvetage inattendue ; certains d’entre eux auraient-ils encore des assurances inavouables secrètes de figurer comme premiers accompagnants du régime après les élections – ce qui s’avérera dans tous les cas moins payant dans la suite – ?
Qu’à tout cela ne tienne, osons quand même espérer que cette opposition s’acquittera sans trop de casses enfin de cette noble tâche qui est la sienne et aura ainsi franchi une étape incontournable vers la déstabilisation du régime. Sinon, vous l’aurez compris, la guerre est loin d’être gagnée, la bataille doit continuer en son sein et face à leur adversaire, seules leur unité et leur fermeté restent les premières armes et le prix à payer pour prétendre au changement attendu par tout notre peuple sans oublier que boycotter purement et simplement un processus toujours vicié est une option tout à fait défendable et comprise du peuple si on lui en donne clairement les raisons .
Aux leaders de l’opposition de saisir plus que jamais la balle au bon, c’est encore possible, il ne tient qu’à leur sens de responsabilité !?