La majorité présidentielle peut-elle réaliser le « grand chelem » lors de la prochaine élection des gouverneurs ? C’est bien possible. Avec l’invalidation de nombreux candidats, la majorité pourrait rafler la plupart des 21 nouvelles provinces.
Après deux reports, les nouvelles provinces de la République démocratique du Congo (RDC) éliront leurs gouverneurs le 26 mars après plusieurs mois d’administration intérimaire par des commissaires spéciaux nommés par le gouvernement. Une bonne nouvelle si ce n’était les conditions contestables dans lesquelles la Commission électorale (CENI) et le justice congolaise ont validé et invalidé les différentes candidatures. Sur les 135 candidats gouverneurs, 31 ont été invalidées par la CENI et les Cours d’appel de justice et 66 ont été retirées. Au final, il n’y aura que 66 candidats pour pourvoir les postes de gouverneur dans les 21 nouvelles provinces – voir la liste complète des candidats ici. Certains observateurs y voient « une élection jouée d’avance ». C’est le cas de Michael Tshibangu, analyste politique et président de l’Association pour le développement et la démocratie au Congo ( ADDC) basée au Royaume-uni. « Avant la publication de la liste des candidats pour l’élection des gouverneurs, Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, avait communiqué à la CENI une liste de candidats à invalider, explique à Afrikarabia Michael Tshibangu. Donc il savait clairement à l’avance qui était candidat et qui ne l’était pas. Ce qui remet en cause l’indépendance de la CENI ». Mais ce qui inquiète cet observateur de la vie politique congolaise, c’est que « la CENI a suivi scrupuleusement les injonctions d’ Aubin Minaku. Tous les candidats qui n’ étaient pas du goût de la majorité ont été invalidés ». Ce scrutin serait-il taillé sur mesure pour la majorité présidentielle ? « Dans des provinces comme le Kasaï central, Lomami ou Sankuru, les candidats gouverneurs et vice-gouverneurs de la majorité présidentielle sont de facto élus… faute d’adversaires politiques, puisqu’il n’y a qu’un seul candidat ! »
Ex-Katanga : une province-clé
L’opposition dénonce une « manipulation des institutions » par la majorité présidentielle (MP) pour exclure certains candidats et notamment d’anciens membres de la majorité passés dans l’opposition. Dans le viseur de la majorité : les candidats du G7, ces anciens frondeurs de la majorité aujourd’hui rangés derrière Gabriel Kyungu et surtout Moïse Katumbi, probable candidat à la prochaine présidentielle. Sur les 41 recours déposés devant la justice congolaise, 10 ont été jugés « recevables et fondés », les autres n’ont pas obtenu gain de cause. Avec si peu de candidats, la majorité part avec une longueur d’avance dans ce scrutin. D’autant que sur les 21 commissaires spéciaux nommés par Kinshasa pour administrer les nouvelles provinces, 18 commissaires seront candidats au poste de gouverneur qu’ils occupent de facto depuis fin octobre 2015. L’ex-province du Katanga, démembrée aujourd’hui en 4 provinces, sera particulièrement scrutée. La riche province minière constitue en effet le « coffre-fort » de la république et un important réservoir de voix pour le président Joseph Kabila. « La majorité des candidats considérés comme pro-Katumbi et pro-G7 ont été invalidés soit par la CENI ou la cour d’appel. Tout a été fait pour assurer la victoire des candidats de la majorité. On assiste ici à une sorte de mascarade » nous explique Michael Tshibangu. « Les candidats du G7 encore en course sont continuellement harcelés par les services de sécurité. La Garde présidentielle a brutalisé les partisans de Christian Mwando, candidat pro-G7 dans la province du Tanganyika ». Des opérations d’intimidations qui démontrent une certaine fébrilité du camp présidentiel.
Une élection-test pour la majorité
Sur les 21 provinces, combien la majorité du président Joseph Kabila peut-elle en remporter ? Pour André Atundu, le porte-parole de la MP, « maintenant que nous venons de gagner la bataille préliminaire en terminant en pole position, nous nous préparons à confirmer ce leadership en raflant la mise de 21 provinces, si possible » a-t-il affirmé sur Radio Okapi. Concernant les nombreuses invalidations qui privent la majorité d’adversaires dans ces élections, le porte-parole tranche : « en quoi cela nous gêne puisque nous n’avons pas triché, nous n’avons pas fraudé ». Mais du côté du G7, la plateforme la plus impactée par les invalidations de candidatures, ont dénonce le retour du « parti-Etat », comme sous Mobutu. Alors que la République démocratique du Congo s’enfonce dans une période d’incertitude électoral avec le possible report de l’élection présidentielle de 2016 et le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila, l’élection des gouverneurs constitue un test important pour la majorité présidentielle. « C’est une stratégie pour garder le pouvoir à tous les niveaux y compris la présidence, analyse Michael Tshibangu. La majorité veut occuper tout le terrain et ne laisser aucune place à l’opposition en cas d’élection ou de référendum. Le pouvoir utilise des méthodes peu orthodoxes pour atteindre son objectif, en recourant à la manière forte : faire taire l’opposition, criminaliser tout engagement pour la société civile, interdire la liberté d’expression et d’opinion, ainsi que les recours abusifs au système judiciaire pour museler l’opposition et les médias. Cela démontre que la majorité est déterminée à garder le pouvoir à tout prix » conclut-il. Les gouverneurs seront élus le 26 mars prochain au scrutin indirect par les députés provinciaux.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
L’opposition – notamment l’UDPS et l’UNC qui ne disposent pas d’élus dans les assemblées provinciales – n’est pas concernée par ces élections dont il faut souligner qu’elles ne sont pas conformes à la Constitution puisque le mandat des Députés provinciaux qui forment le corps électoral est expiré depuis près de cinq ans en vertu des articles 110 et 197 de la Loi fondamentale !