Un rapport de l’IFRI dénonce l’impuissance et les échecs de la mission de l’ONU en République démocratique du Congo (RDC). Un bilan cinglant qui constitue « un risque politique majeur pour les Nations unies » alors que la Monusco va fêter ses 17 ans de présence.
Jamais une mission des Nations unies n’aura été si longtemps sous le feu des critiques. Depuis bientôt 17 ans, avec un bilan plus que mitigé, la pertinence de la Monusco n’a jamais cessé d’être discuté. Une soixantaine de groupes armés sévissent toujours à l’Est du pays et la mission des casques bleus n’a jamais pu peser sur la gouvernance autoritaire du président Joseph Kabila qui s’apprête à s’accrocher au pouvoir. Le hic, c’est que la Monusco constitue toujours la plus importante mission de maintien de la paix au monde pour un coût non négligeable de 1,4 milliard de dollar par an. Alors que le pays s’enfonce dans une crise politique profonde – voir notre article, la mission de l’ONU va fêter ses 17 ans de présence au Congo. Pour quel bilan et quelles perspectives ? Deux chercheurs de l’IFRI (Institut français des relations internationales), Marc-André Lagrange et Thierry Vircoulon, se sont penchés sur la question dans un rapport détaillé.
Sur la voie de la transition
Les deux chercheurs reviennent sur les trois périodes clés de la mission de la Monusco au Congo. De 1999 à 2006, les casques bleus permettent au pays de sortir du conflit. De 500 observateurs à ses débuts à 5.537 un an plus tard, « les effectifs de la Monuc, puis de la Monusco ne vont pas cesser d’augmenter jusqu’à atteindre 22.016 ». La mission se chargera avec un certain succès de mettre en oeuvre la feuille de route de la transition afin d’installer des institutions démocratiques et stabiliser la RDC. Un gouvernement de transition se mettra en place, le référendum sur la Constitution, les élections législatives et présidentielle de 2006 ainsi que les provinciales et les sénatoriales de 2007 se dérouleront dans de relatives bonnes conditions. La mission des casques bleus a mangé son pain blanc.
L’ONU se heurte aux « réalités congolaises »
Les choses vont se corser entre 2006 et 2012 avec ce que les chercheurs de l’IFRI appellent « la dynamique d’enlisement ». « Sur le plan militaire, la MONUC n’a plus pour mission d’observer le cessez- le-feu de Lusaka mais d’appuyer la réforme du secteur de la sécurité, l’intégration des miliciens dans l’armée et de préparer son départ » notent Marc-André Lagrange et Thierry Vircoulon. Mais le scénario dérape et « se heurte rapidement aux réalités congolaises » et notamment les groupes armés de l’Est du pays. L’apparition de la rébellion du CNDP met rapidement à mal l’efficacité des casques bleus. La prise de Goma par les rebelles du M23 en 2012 finit de démontrer l’impuissance de la mission face aux groupes armés. « L’action des Casques bleus dans la défense de Goma a été inexistante » estiment les chercheurs.
Des groupes armés toujours pas neutralisés
La Monusco connaîtra ensuite un (bref) sursaut avec la création d’une brigade d’intervention (FIB) dotée un mandat plus offensif. « En travaillant de concert, la FIB et l’armée congolaise repoussent le M23, qui est affaibli par des luttes internes et la suspension du soutien rwandais ». Le M23 est vaincu et ouvre la voie à des opérations vers d’autres groupes armés et notamment les FDLR, la milice rwandaise. Mais Kinshasa s’avère guère « enthousiaste » et l’euphorie « se refroidit brutalement après l’assassinat toujours mystérieux du « héros congolais », le colonel Mamadou Ndala qui a commandé l’offensive contre le M23. » Le rapport conclut que, « deux ans après la défaite du M23, force est de constater que la création d’une brigade « offensive », la dotation de la Monusco d’un mandat d’imposition de la paix et l’emploi de drones n’ont pas abouti à la neutralisation d’autres groupes armés. »
Les attentes déçues des civils congolais
Après la première élection démocratique du Congo en 2006, les deux chercheurs de l’IFRI pointe l’enlisement progressif de la mission de l’ONU, qui perd peu à peu « tout capital politique et militaire ». La Monusco perd d’abord son capital militaire. Pour la population du Nord-Kivu, casques bleus riment avec impuissance. « La Monusco s’est révélée incapable de faire face à la montée en puissance du CNDP puis du M23 » et plus récemment, les massacres dans la région de Beni n’ont toujours pas pu être stoppés par la mission onusienne. Un manque d’engagement dénoncé par le rapport de l’IFRI : « Le Force Commander indien ne cachait pas vraiment qu’il avait reçu comme consigne de ne pas engager les troupes indiennes dans des opérations risquées » se limitant à une protection « statique ». Ce constat d’impuissance est également doublé par la méfiance des Congolais sur les bonnes intentions des casques bleus : « L’absence d’action est interprétée comme une volonté de faire perdurer les conflits pour le plus grand profit personnel des casques bleus » soulignent les auteurs.
Vers l’effacement politique
Les conséquences d’un manque cruel de résultats de la Monusco au Congo se traduit également sur le plan politique. Selon le rapport, la Monusco s’est discréditée au yeux du gouvernement congolais. Une « rupture » qui est « consommée » dès la première crise de 2008 et l’avancée de la rébellion de Laurent Nkunda sur Goma. En 2010, les rapports se tendent un peu plus entre le gouvernement et la Monusco lorsque l’ONU conditionne son appui militaire à l’armée congolaise, accusée d’exactions contre les civils. Un bras de fer vécu comme « une ingérence par le gouvernement ». Conséquence de cette défiance : la Monusco « voit son rôle politique réduit sous la pression » des autorités locales. « Un effacement politique qui laisse la voie libre à la dérive autoritaire du régime » malgré l’épisode réussi de la défaite du M23. Les auteurs du rapport questionnent enfin l’approche jugée « très partisane » de la Monusco « qui n’a jamais questionné la piètre qualité du processus électoral de 2011 ».
La Monusco simple spectatrice
Ce que dénonce ce rapport c’est surtout « l’absence de ligne claire du Conseil de sécurité dans la durée », alors qu’avec un bilan aussi peu reluisant, la mission de l’ONU en RDC est systématiquement reconduite à chaque résolution. Sans position forte, la Monusco risque d’être une nouvelle fois spectatrice de la crise pré-électorale qui s’annonce à Kinshasa. Un report très probable de l’élection présidentielle, prévue fin novembre, permettrait au président Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà des limites de son mandat. En cas de crise, Marc André Lagrange et Thierry Vircoulon y voit « deux scénarios négatifs pour les Nations unies : une confrontation violente que la plus grande mission de maintien de la paix dans le monde sera une fois de plus incapable de contenir, ou une répression préventive que la Monusco ne pourra qu’observer et condamner par voie de communiqués de presse ». Un bien triste horizon en perspective.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
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