Poursuivi pour « complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité », Claude Muhayimana comparait à partir des ce lundi 22 novembre devant la cour d’assises de Paris.
Par Jean-François Dupaquier
Alain Gauthier, président du collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), est à la fois soulagé et excédé : « Quatre ans se sont passés entre la décision de le renvoyer devant les assises et la tenue du procès. Des délais que victimes et familles de rescapés jugent intolérables. » Une attente liée à la chicane de son avocat, Me Philippe Meilhac (par ailleurs avocat d’Agathe Habyarimana, la veuve de l’ancien président rwandais) (1), qui a multiplié les recours. Une attente liée aussi à la pandémie de covid 19. Mais pas que.
Pour investiguer sur les présumés « génocidaires » réfugiés dans l’Hexagone après leur fuite du Rwanda en 1994, la justice française se presse lentement. Le CPCR a documenté les antécédents d’une quarantaine de suspects. Le premier à affronter une cour d’assises, Pascal Simbikangwa, avait été mis en examen en 2009 pour génocide et complicité de génocide, après une plainte du CPCR. Il comparut cinq ans plus tard, en 2014, pour être condamné à 25 ans de prison – peine confirmée en appel. Depuis lors, les instructions ont repris leur « train de sénateur ». A ce rythme, presque tous les suspects mourront avant la clôture de leur instruction.
Un premier procès en 2014
En 1994, pendant le génocide des Tutsi du Rwanda, Claude Muyahimana vivait dans la préfecture Kibuye, au sud-ouest du Rwanda. Il avait 33 ans. Il était membre de la sinistre milice Interahamwe (« ceux qui combattent ensemble »), le bras armé de l’agenda génocidaire. Il n’était pas un grand meneur, ce qui explique que l’instruction n’ait duré « que » quatre ans. Avant de s’y ajouter quatre autres années de chicane, entre la décision de le renvoyer devant les assises, en novembre 2017, et la tenue du procès.(2) Mais l’ensemble de la procédure le concernant s’étale sur dix ans. C’est en 2011 que Muyahimana, obscur employé municipal de la ville de Rouen (Seine Maritime) fut repéré en France. Le Rwanda émit un mandat d’arrêt international en décembre 2011 et réclama son extradition. La Cour d’appel de Rouen y donna un avis favorable, mais la Cour de cassation la refusa, suivant sa jurisprudence constante. (3)
Aussi, en juin 2013, le CPCR décidait de déposer plainte et de se constituer partie civile. On connaît la suite… Sans l’opiniâtreté de Dafroza et d’Alain Gauthier ainsi que des membres de leur association, les présumés génocidaires rwandais réfugiés en France auraient bénéficié de l’impunité, comme les Nazis réfugiés en Syrie ou en Argentine après 1945. Une « exception française » particulièrement choquante.
Sylvie Humbert, professeure d’histoire du droit à la faculté de droit de l’université catholique de Lille, spécialiste de justice pénale internationale et de la justice transitionnelle, membre de la « commission Duclert » sur le rôle de Paris au Rwanda, est revenue récemment sur ce problème de l’impunité : « Une notion qui, lorsqu’elle se rapporte aux crimes contre l’humanité, est devenue insupportable : il est en effet devenu impératif de pouvoir juger les responsables. » (4)
Repéré à Rouen en 2011
En 1994, Claude Muhayimana était employé comme chauffeur d’une guest-house dans la ville très touristique de Kibuye. Des témoins l’accusent d’avoir transporté des interahamwe sur les lieux de massacres effectués sur les ordres du préfet de Kibuye, Clément Kayishema. (5)
Muhayimana aurait notamment participé à l’extermination des familles tutsi réfugiées dans le Home et l’église Saint-Jean de Kibuye le 17 avril 1994, où environ mille personnes ont été tués. Et dans le stade Gatwaro de Kibuye, un massacre qui commença le lendemain 18 avril dans l’après-midi et qui dura au moins deux jours, faisant environ huit mille morts. Il aurait également « opéré » sur les collines de Karongi, Gitwa et Bisesero.
Claude Muhayimana est généralement décrit par des témoins comme un rouage intermédiaire de la machine d’extermination, une organisation d’une efficacité stupéfiante. Un rescapé, Patrice Bigenimana a témoigné de l’horreur planifiée à l’église Saint-Jean : « J’y étais réfugié le 17 avril 1994 et les hurlements que j’ai entendus résonnent encore dans ma tête. » Alors âgé de 12 ans, il a vu arriver la troupe des extrémistes hutu armés de fusils, de machettes, de lances et d’ubuhiri, des massues cloutées : « On les voyait marcher sur la route en contrebas. La file qu’ils formaient était interminable. Ils venaient par milliers de toutes les communes de la région et convergeaient vers nous en chantant et en criant : “Tugomba kubica” [Nous devons les tuer]. » (6)
Un rouage intermédiaire de l’extermination
Malgré de nombreux témoignages qui l’incriminent et qui seront cités au procès, Claude Muhayimana nie toute responsabilité dans les massacres. Plusieurs parties civiles se sont déclarées, à commencer par le CPCR qui a pour avocats Me Alexandre Kiabski et Me Nima Haeri, l’association IBUKA France et la LICRA qui seront représentés par Me Rachel Lindon, et une personne qui a pris pour avocat Me Gilles Paruelle.
Ibuka-France a invité ses adhérents à suivre les audiences.
Le CPCR qui représentera une vingtaine de parties civiles personnes physiques devrait publier quotidiennement des comptes-rendus d’audience sur son site internet (http://www.collectifpartiescivilesrwanda.fr/). Le procès est prévu pour durer jusqu’au 17 décembre dans l’ancien Palais de Justice de Paris.
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(1) Voir : https://www.jeuneafrique.com/37461/politique/philippe-meilhac-l-as-du-rwanda/
(2) En novembre 2017, le juge d’instruction décidait de renvoyer l’accusé devant la Cour d’assises : décision contre laquelle Claude Muhayimana interjeta appel. Il faudra attendre le 4 avril 2019 pour voir cet appel rejeté, et plus de deux ans supplémentaires pour voir son procès se tenir devant la Cour d’assises de Paris après deux reports successifs liés au confinement sanitaire.
(3) Jusqu’à présent, la Cour de cassation a toujours rejeté les demandes d’extradition vers Kigali, estimant que les droits de la défense ne seraient pas garantis au Rwanda, contrairement à des décisions judiciaires de Suède, du Canada, des Etats-Unis, etc., pour des cas similaires.
(4) Lire « L’archive au cœur Retour d’expérience au sein de la commission Duclert sur le rôle de la France au Rwanda » Entretien avec Sylvie Humbert Sonia Le Gouriellec et Mathieu Boche
Cairn Info, Article disponible en ligne à l’adresse suivante :
https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2020-1-page-147.htmlhttps://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2020-1-page-147.html
(5) Le 21 mai 1999, le Tribunal pénal international pour le Rwand (TPIR) a condamné Clément Kayishema à la prison à perpétuité (il est décédé pendant qu’il purgeait sa peine) et son principal complice, l’homme d’affaires Obed Ruzindana à 25 ans d’emprisonnement – peine confirmée en appel.
(6) Cf Pierre Lépidi, « Rwanda, 1994 : l’église Saint-Jean de Kibuye, oubliée de Dieu », Le Monde, 10 avril 2019. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/04/10/rwanda-1994-l-eglise-saint-jean-de-kibuye-oubliee-de-dieu_5448155_3212.html