Une tentative d’évasion dans la plus grande prison congolaise a viré au carnage faisant au moins 129 morts, alors que plus de 1.700 détenus ont mystérieusement disparu des effectifs. Un drame qui met en lumière une politique pénitentiaire dysfonctionnelle dans des prisons « mouroirs ».
Que s’est-il passé dans la nuit du 1er au 2 septembre dernier derrière les murs de la tristement célèbre prison de Makala ? En fin de nuit, des tirs sont entendus depuis l’extérieur du centre pénitencier. Et très vite des vidéos circulent sur les réseaux sociaux montrant des détenus fuyant dans l’enceinte de la prison au son des tirs d’armes automatiques. D’autres vidéos suivent et laissent entrevoir des dizaines de corps inanimés sur le sol. Des témoignages de prisonniers recueillis par Human Rights Watch (HRW) racontent que « des membres présumés de gangs de jeunes », appelés également Kulunas, « ont tenté une évasion collective aux premières heures de la matinée ». D’autres témoins expliquent que la prison était alors privée d’électricité, ce qui a pu encourager l’initiative. Les gardes de Makala ont alors ouvert le feu sur les prisonniers, provoquant une bousculade monstre dans cette prison surpeuplée de la capitale congolaise. Plusieurs bâtiments administratifs ont été incendiés, dont les archives de la prison. « J’ai vu des femmes en train d’être violées par plusieurs hommes, y compris une femme plus âgée qui a été violée », a témoigné une détenue à Human Rights Watch. Pour l’instant, il est impossible de savoir si cette tentative d’évasion a été coordonnée à l’intérieur ou à l’extérieur de Makala, ou si un autre événement a provoqué une mutinerie de certains détenus.
129 morts et un directeur en fuite
Le flou reste également total sur la manière dont sont intervenues les forces de sécurité congolaises. Cacophonie également du côté des autorités congolaises, qui donnent, dans un premier temps, par la voix du vice-ministre de la Justice, un premier bilan de 2 morts. Une annonce qui a créé l’indignation des ONG devant la multiplication des vidéos qui circulent, où l’on peut voir des dizaines de corps au sol. Il faudra attendre le lendemain pour que le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, reconnaisse un bilan beaucoup plus lourd de 129 morts et 59 blessés. Une enquête a été annoncée par le ministre de la Justice. Des arrestations ont également été menées à l’intérieur du centre pénitencier avec confiscation des téléphones des détenus. Son directeur, Joseph Yusufu Maliki, a été suspendu, et est activement recherché par la justice. Selon nos informations, le directeur de Makala aurait réussi à quitter le pays et se trouverait en Belgique « pour des soins » et devrait ensuite rentrer pour s’expliquer, selon des proches.
Une prison « mouroir »
La prison centrale de Kinshasa n’en est pas à sa première tentative d’évasion collective. En 2017, 4.000 détenus s’étaient faits la belle après l’attaque du centre pénitencier par des membres de la secte politico-religieuse Bundu Dia Kongo pour faire libérer leur chef spirituel Ne Muanda Nsemi. L’année dernière, la fondation Bill Clinton pour la paix (FBCP), révélait que plus 500 détenus de Makala étaient morts en 11 mois à cause des mauvaises conditions de détention liées à une surpopulation. En octobre 2023, le propre directeur de Makala, aujourd’hui en fuite, alertait le ministère de la Justice de la surpopulation qui « dépassait le tolérable ». La prison comptait 12.629 détenus, alors que sa capacité était prévue pour 1.500 prisonniers. Surpopulation, malnutrition, conditions d’hygiène dramatiques, manque d’eau potable, d’alimentation et de médicaments… Le journaliste Stanis Bujakera, qui a passé plus de 6 mois à Makala en 2024, avait qualifié ce triste lieu de « mouroir ».
Où sont passés les 1.767 disparus de Makala ?
Selon les ONG sur place, dont la Fondation Bill Cinton, le bilan du carnage de Makala pourrait être beaucoup plus élevé. D’après les derniers décomptes du centre pénitencier et de la FBCP, 15.005 détenus étaient présents à Makala avant le drame. Une source interne raconte avoir vu 135 corps chargés dans un camion. D’autres indiquent que 250 cadavres ont été dénombrés, rien que dans le pavillon 4. La Fondation Bill Clinton affirme également que sur les 309 femmes du pavillon 9, « plus de 200 ont été violées ». Mais un chiffre inquiète fortement l’ONG, qui intervient depuis plusieurs années dans l’enceinte de Makala. Sur les 15.005 détenus recensés avant le drame, 13.009 ont été recensés à ce jour auxquels il faut retirer les 129 morts officiels et 100 détenus transférés à la prison militaire de Ndolo. La question est simple : où sont passés les 1.767 détenus restants ? De quoi remettre en question le bilan officiel de 129 morts pour la Fondation Bill Clinton.
« Les détenus ordinaires « dorment entassés par dizaines dans une petite pièce »
En 2022, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) avait dévoilé dans un rapport l’arrière-boutique pas très reluisante de cette prison. A Makala, comme un peu partout au Congo, c’est le régime de la débrouille. Que vous soyez puissant ou misérable, vous ne serez pas traités de la même manière, note l’auteur du rapport. Les détenus « ordinaires » doivent s’acquitter d’un premier montant de 25$ à leur arrivée, puis de 1,5$ par mois pour les frais d’hébergement. « Ceux qui sont incapables de payer sont soumis aux corvées les plus humiliantes et pénibles, comme le nettoyage à mains nues des fosses septiques » explique Daudi Chase Mutayubara. Les détenus ordinaires « dorment entassés par dizaines dans une petite pièce ou dans les couloirs, les douches ou les toilettes, voire debout par manque de place pour se coucher ou même s’asseoir ». Des détenus sont récemment décédés d’étouffement.
Des conditions de détention pour toutes les bourses
Pour les détenus « VIP », le séjour à Makala est nettement plus supportable. Les familles des prisonniers fortunés peuvent apporter de la nourriture et « les VIP disposent d’une chambre individuelle dans un des trois pavillons de la prison qui leur sont réservés, en contrepartie d’un paiement à l’entrée variant entre 100$ et 300$ ». Ce fût le cas de Vital Kamerhe, l’ex-directeur de cabinet du chef de l’Etat, de l’homme d’affaires Samih Jamal, ou de François Beya, l’ancien monsieur sécurité de la présidence. Tout aussi étonnant, la sécurité des détenus est en fait principalement assurée… par les prisonniers eux-mêmes, faute de personnels. Et de conclure : la prison de Makala est le reflet d’une société congolaise « marquée par une injustice sociale considérable et la domination de l’argent-roi ».
Des autorités démunies
Le carnage du 1er et 2 septembre va-t-il réveiller les autorités congolaises pour prendre à bras-le-corps les conditions déplorables de détention en RDC ? Les incidents se sont multipliés récemment dans les prisons des quatre coins du Congo, à Lubumbashi, ou à Bunia ce week-end. Le ministre de la Justice a commencé un timide programme de désengorgement des prisons. Mais le problème est plus large : infrastructures manquantes, lenteur de la justice, détentions arbitraires, détenus sans jugement pendant plusieurs années… Les autorités semblent bien démunies face à l’ampleur de la tâche. Le tonitruant ministre de la Justice, Constant Mutamba, s’en est pris aux magistrats qui, selon lui, envoient des détenus à Makala sans tenir compte de la capacité d’accueil du centre. Une sortie médiatique qui a suscité l’ire du Conseil de la magistrature qui estime que « leur demander de ne pas arrêter un suspect ni de le transférer à la prison constitue une violation flagrante de la loi ».
Crispation politique
Enfin, le drame de Makala jette une fois de plus une lumière crue sur les méthodes peu orthodoxes des forces de sécurité congolaises. La Voix des sans voix (VSV) a dénoncé « une utilisation disproportionnée de la force » face à des détenus désarmés. Les Congolais ont tous en mémoire « le massacre de Goma » d’août 2023, où au moins 57 personnes ont été tuées par la Garde républicaine en amont d’une manifestation – voir notre article. La Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) s’est également émue de la « banalisation de la vie humaine » en République démocratique du Congo. Les évêques ont appelé le gouvernement à réellement « lancer la construction de nouvelles prisons, éviter les incarcérations clandestines et désengorger les établissements pénitentiaires existants ». Et comme souvent dans ce contexte de tension sécuritaire permanent, les voix dissonantes sont rapidement bâillonnées. L’opposant Seth Kikuni, candidat aux deux dernières élections présidentielles, a été interpellé et incarcéré sans que l’on en connaisse pour l’instant les raisons exactes. Mais avant son arrestation, l’opposant avait émis des doutes sur la tentative d’évasion de Makala sur les réseaux sociaux. Une crispation politique qui augmente à mesure que les déboires sécuritaires s’enchaînent au Congo.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Seth à été interpellé à cause de son intervention à lubumbashi où il a tenu des propos incitant à la haine tribale.