Un long rapport de l’ONG détaille la répression politique qui sévit actuellement en République démocratique du Congo, alors que l’élection présidentielle devrait être reportée de plusieurs mois.
A moins de trois mois de la fin du second mandat de Joseph Kabila, la République démocratique du Congo (RDC) retient son souffle. Deux éléments inquiètent particulièrement les observateurs de la vie politique congolaise : le report de l’élection présidentielle qui ne se tiendra pas à la date prévue et le maintien au pouvoir du président Kabila au-delà des limites de son mandat qui doit prendre fin le 19 décembre prochain. Dans ce contexte de tension, l’opposition accuse le camp présidentiel de retarder volontairement le processus électoral afin de prolonger le mandat de l’actuel chef de l’Etat de plusieurs mois. Joseph Kabila, dont la Constitution interdit de représenter pour un troisième mandat, pourrait se servir de cette longue période de transition pour modifier les textes et s’autoriser à briguer un troisième mandat.
Répression des mouvements de jeunesse
La crise pré-électorale est assortie d’une violente répression politique sur les opposants au président Joseph Kabila. Un récent rapport d’Amnesty International dénonce un accroissement de la répression et des violations des droits humains. Selon l’ONG, « le gouvernement de la RDC utilise le système judiciaire pour réprimer les voix qui osent s’exprimer contre un report éventuel des échéances électorales et le maintien en poste du président Joseph Kabila ». En mai 2016, le président congolais a d’ailleurs reçu l’autorisation de la Cour constitutionnelle pour prolonger son mandat jusqu’à l’organisation des élections. Au coeur de la répression : des opposants de toutes sortes, ainsi que des mouvements de jeunesse. Des groupes de jeunes comme Filimbi ou la Lucha ont été accusés d’être des « groupes insurrectionnels » et la Lucha a été déclarée « illégale ». Des membres de ces deux mouvements ont été détenus en prison plusieurs mois.
Les nouveaux opposants dans le viseur
Autre cible du pouvoir, selon Amnesty : les frondeurs de la majorité présidentielle qui ont quitté le navire afin de défendre le respect des délais constitutionnels. Pour affaiblir ces nouveaux mouvements l’opposition, « le Ministère de l’Intérieur a autorisé des factions de ces partis souhaitant rester dans la coalition à poursuivre leurs activités et, dans certains cas, à se déclarer sous le même nom, le même logo et les mêmes couleurs qu’auparavant, en violation de la loi congolaise sur la gouvernance des partis ». Un dédoublement des partis qui a pour vocation de créer la confusion sur l’échiquier politique congolais.
Interdictions de manifester
Dans les provinces, « alors qu’une simple information des autorités locales par les organisateurs soit requise, des manifestations ont été interdites, en violation du droit congolais en matière de liberté de réunion, qui est conforme aux normes internationales relatives aux droits humains » accuse le rapport. « Entre octobre 2015 et janvier 2016, les autorités de deux provinces et d’une ville ont imposé une interdiction totale de tous les rassemblements ». Dans le viseur du pouvoir, on trouve également des personnalités politiques d’opposition, comme Martin Fayulu. Le responsable de l’Ecidé « a été détenu pendant une demi-journée en février 2016, alors qu’il organisait une grève générale en faveur du respect de la Constitution. En mai 2016, la police de la province du Kwilu l’a également empêché de participer à trois réunions politiques ».
Katumbi rendu « inéligible »
L’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, a été particulièrement visé par les autorités et la justice congolaise. Depuis sa démission de la majorité, Moïse Katumbi et ses proches « ont été la cible de manœuvres d’intimidation et de harcèlement de la part de personnes non identifiées, soupçonnées d’appartenir aux services de renseignement », note Amnesty. Juste après s’être déclaré candidat à l’élection présidentielle, l’homme d’affaires a été visé par une enquête « pour le recrutement présumé de mercenaires. Inculpé de menaces à la sûreté de l’État, il a été autorisé à quitter le pays le 19 mai 2016, mais il a été condamné par contumace le 23 juin à trois ans d’emprisonnement pour un litige immobilier, ce qui le rend inéligible pour la présidentielle ».
Libération des prisonniers politiques
Pour Amnesty International « il est urgent que des réformes sérieuses soient engagées afin que tous les Congolais puissent s’exprimer librement et se réunir et s’organiser pacifiquement. Les débats ouverts et les manifestations pacifiques sont des alternatives importantes à la violence. » L’ONG recommande au gouvernement « de libérer toutes les personnes qui sont détenues pour des raisons politiques, et de cesser d’utiliser le système judiciaire et les autres institutions étatiques à des fins politiques ». La communauté internationale et l’Union africaine sont également appelés à se mobiliser pour « encourager davantage la RDC à entreprendre ces réformes essentielles ». Et de prévenir, « la répression ne fera qu’accroître les tensions politiques, au risque de provoquer des troubles ». Lundi 19 septembre, la majorité des partis d’opposition appellent à un sit-in devant la Commission électorale (CENI) de Kinshasa pour dénoncer le glissement du calendrier électoral et « empêcher un troisième mandat de Joseph Kabila ». Une manifestation à haut risque.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia