M23, ADF, Codeco, Maï-Maï… La centaine de groupes armés qui sévissent dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) nourrissent une guerre sans fin, qui tourne en boucle depuis 30 ans. L’ancien député du Nord-Kivu, Juvénal Munubo, propose d’organiser un forum sécuritaire avec tous les acteurs du conflit, civils et militaires, et éviter ainsi l’erreur de la réintégration des rebelles dans l’armée régulière.
Afrikarabia : Dans la région de Beni, au Nord-Kivu, les attaques des rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF) ont fait plus de 80 morts en une semaine. Comment expliquer ce regain de violence ?
Juvénal Munubo : Cela veut d’abord dire que nous n’avons pas trouvé de réponse aux racines du problème. C’est un groupe armé étranger, d’origine ougandaise, qui s’est installé dans la zone de Beni depuis de longues années et qui est très ancré dans les communautés locales. Il s’alimente en ressources, en bois notamment. Pour combattre un tel groupe efficacement, il faut un engagement au-delà des seules actions militaires. Il faut engager davantage les communautés locales et améliorer les relations entre les civils et les militaires. Il y a quand même eu des arrestations au sein des ADF comme celle du chef militaire Jamil Mukulu qui a été arrêté en Tanzanie et extradé en Ouganda en 2015. Mais depuis, on n’a jamais su le sort qui lui a été réservé. Un procès devait s’ouvrir à Kampala, ce qui aurait permis d’obtenir des renseignements pour neutraliser ce groupe en RDC. Pour moi, le problème reste entier.
Afrikarabia : Que peut-on faire ?
Juvénal Munubo : Concernant les ADF, mais aussi le M23 et les autres groupes armés, je propose la création d’un forum sécuritaire, à l’initiative du gouvernement, qui mettrait autour de la table, les responsables sécuritaires étatiques, mais aussi les personnes influentes des communautés locales, comme les leaders de la société civile et les chefs coutumiers. Je propose un forum et non un dialogue. On a souvent invité les groupes armés et les acteurs politiques à dialoguer autour d’une table pour finir par un simple partage du pouvoir. Ici, je propose d’abord une concertation qui serait d’ordre « technique » pour faire une évaluation de ce qui a déjà été fait par le passé, de toutes les recommandations formulées par les parlementaires ou les experts. Avec quel degré d’exécution,quels entraves… ? Cela nous permettra d’obtenir une feuille de route sécuritaire claire qui pourrait aider ce second quinquennat du président Félix Tshisekedi.
Afrikarabia : Depuis 2021, l’armée ougandaise a été autorisée d’entrer sur le sol congolais pour mener des actions contre les ADF. C’est un échec ?
Juvénal Munubo : La réalité, c’est qu’il n’y a pas d’avancées. Les ADF continuent de tendre des embuscades et de tuer les populations civiles. Je pense également que depuis l’allégeance des ADF à l’Etat islamique (EI), le Congo devrait être aidé par l’ensemble de la communauté internationale comme cela se fait ailleurs dans la lutte contre le terrorisme, au Sahel ou en Afghanistan. Il devrait y avoir une coalition internationale pour aider le gouvernement congolais.
Afrikarabia : A la différence du M23, les ADF n’ont pas vraiment de revendications ?
Juvénal Munubo : Au départ, les ADF étaient en lutte contre le pouvoir de Yoweri Museveni à Kampala. C’était dans les années 1995. Mais par la suite, ce groupe a évolué en guérilla, avec des embuscades qui sèment la terreur au sein de la population civile. Et puis c’est un groupe qui s’illustre également dans le commerce transfrontalier, notamment dans le bois. Aujourd’hui, c’est un groupe qui n’a plus d’objectif, même s’ils ont mené récemment une attaque contre Kampala. Ce n’est plus leur objectif de renverser le pouvoir. A la différence des FDLR (groupe armés rwandais composé d’ex-génocidaires en lutte contre Kigali – ndlr), les ADF n’ont pas de porte-parole ni de branche politique.
Afrikarabia : Avec le temps, les ADF se sont largement « congolisés ». L’idée d’un forum sécuritaire, avec tous les acteurs autour de la table, pourrait faire avancer les choses ?
Juvénal Munubo : Oui, il faut redonner la parole à la population. Il faut une rencontre entre la population et les responsables des opérations militaires contre les groupes rebelles. Je pense que cette rencontre pourrait se tenir à Goma et mettre sur la table la question des ADF, du M23, des FDLR, des Codeco et des autres groupes armés locaux. Il faut écouter les avis des représentants de la société civile pour arriver à définir une nouvelle feuille de route et voir comment aborder toutes ces questions d’insécurité dans les provinces de l’Est.
Afrikarabia : C’est une idée que vous proposez au nouveau gouvernement ?
Juvénal Munubo : On entame un nouveau quinquennat. Il faut se demander quelles sont les bonnes solutions ? Envoyer des troupes ? Demander la contribution de forces régionales ? Où en est-on ? La menace est toujours là. A un moment donné, il faut se rendre compte que la solution militaire a atteint ses limites. Cela ne remet pas en cause les efforts qui ont été fournis par le gouvernement congolais, mais on ne doit pas rester dans le « tout militaire ». Il faut une nouvelle feuille de route pour guider le gouvernement dans ce nouveau quinquennat.
Afrikarabia : Vous n’êtes pourtant pas pour un dialogue ou une négociation avec le M23 ?
Juvénal Munubo : Une négociation directe entre le gouvernement et le M23 me paraît difficile. Le Rwanda ne se cache plus de son soutien au M23. Le Rwanda apporte un soutien visible. Les Nations unies le disent : ce groupe bénéficie de l’appui du Rwanda, et cela rend la situation complexe. Je n’exclus pas un dialogue, mais un dialogue direct entre chefs d’État, c’est-à-dire entre le président Paul Kagame et Félix Tshisekedi. C’est d’ailleurs la raison de mon soutien au processus de Luanda et d’un rapprochement régional entre chefs d’État. Il faut aussi aller au-delà de la région, au niveau de la communauté internationale, avec les partenaires traditionnels de la RDC, comme la France, les États-Unis et la Belgique.
Afrikarabia : Vital Kamerhe, le nouveau président de l’Assemblée nationale, a récemment pointé les responsabilités de l’Ouganda dans son soutien au M23, ce que ne font pas les autorités congolaises.
Juvénal Munubo : Le rôle de l’Ouganda est ambigu. Nous avons encore en mémoire les déclarations du chef d’état-major de l’armée ougandaise, le propre fils du président Museveni, où il affichait sa sympathie envers Kigali. On n’a pas compris comment nous avons pu perdre la ville de Bunagana, qui est frontalière avec l’Ouganda sans jamais pouvoir la récupérer jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, l’Ouganda est un partenaire dans des opérations militaires conjointes. Il y a des ambiguïtés sur le rôle de l’Ouganda. J’ai toujours été assez réservé sur le rôle de Kampala.
Afrikarabia : Il faudrait que Félix Tshisekedi lève cette ambiguïté avec l’Ouganda ?
Juvénal Munubo : Oui, je pense que c’est très important. Il faut faire des choix sur le plan diplomatique et on va voir les positions de la nouvelle ministre des Affaires étrangères. Ce nouveau gouvernement devra être clair dans les choix de ses partenaires, pour bien comprendre les intérêts des uns
et des autres.
Afrikarabia : Un nouveau gouvernement vient d’être investi. Quel bilan peut-on faire du passage de Jean-Pierre Bemba au ministère de la Défense ?
Juvénal Munubo : Il a fait ce qu’il a pu. Il a augmenté le budget de la Défense, ce qui est une bonne chose, avec des acquisitions de drones notamment. Il y a eu quelques opérations militaires, mais il n’y a pas eu de résultats palpables en termes de reddition ou de réinsertion d’éléments de groupes armés dans la vie civile. Il y a eu des initiatives, mais pas beaucoup de résultats.
Afrikarabia : Que doit améliorer le nouveau ministre de la Défense ?
Juvénal Munubo : Il faut mobiliser assez d’argent pour la loi de programmation militaire qui a été adoptée lors de la législature passée. Et il faudrait surtout faire le suivi de tout cela. Dans la gestion de l’armée, il faudrait davantage de contrôles pour lutter contre les détournements de fonds destinés aux militaires. Il faut aussi davantage de rigueur à l’Inspection générale des FARDC, de la police et à l’auditorat militaire.
Afrikarabia : Que fait-on des Wazalendo, cette milice supplétive issue des groupes armés, qui prête main forte aux FARDC sur le front, mais qui commet de nombreuses exactions sur les civils ?
Juvénal Munubo : Il faut tout d’abord reconnaître leur contribution au moment où il fallait protéger des localités comme Sake. Mais il ne faudrait pas les maintenir dans de fausses promesses. Il ne faut pas qu’on donne l’impression qu’ils ont reçu des promesses du gouvernement. Le gouvernement doit tenir un langage clair avec ces nouveaux partenaires. Pour ceux qui veulent revenir à la vie civile, il faut faciliter leur orientation vers un programme de démobilisation et de réinsertion (DDR). Il faut être vigilant pour ceux qui commettent des exactions. Ils ne doivent pas être au-dessus des lois. Pour ceux qui se seraient rendus coupables d’exactions dans les grands centres, à Goma ou ailleurs, il ne doit pas y avoir d’impunité. Je pense que la fenêtre d’opportunité qui s’ouvre ici, c’est le programme DDR. Et je ne vois pas d’autres avantages à leur offrir. L’idée, c’est qu’on reconstruise une armée congolaise républicaine et qu’on arrête d’intégrer des gens qui viennent de groupes armés.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia