Point de fixation de la fronde anti-Kabila, l’ancienne province du Katanga, aujourd’hui démembrée, constitue avec Moïse Katumbi et Gabriel Kyungu, la tête de pont de la contestation. Une nouvelle province que le président Joseph Kabila ne souhaite pas voir lui échapper.
C’est la province où tout a commencé pour la famille Kabila, père et fils. De là qu’est partie la rébellion de Laurent-Désiré pour chasser Mobutu en 1997 avec l’appui du Rwanda. De là qu’est provenue une importante quantité de voix aux dernières élections présidentielles de 2006 et 2011. De là qu’était issu l’éminence grise de l’actuel chef de l’Etat, Augustin Katumba Mwanke, disparu en 2012. Et enfin, là où a été « mis au vert » John Numbi, le premier flic du Congo avant sa mise à l’écart après l’assassinat de Floribert Chebeya en 2010. Ce fief électoral est-il en train de changer de main et de virer à la fronde anti-Kabila ? Depuis le départ à l’automne 2015 de deux poids lourds katangais de la majorité présidentielle, Moïse Katumbi et Gabriel Kyungu la riche province minière se retrouve aux avant-postes de la fronde contre le chef de l’Etat.
Les élections des nouveaux gouverneurs en ligne de mire
Dernier épisode en date, ce samedi 5 mars 2016, une manifestation pro-dialogue organisée par le PPRD, le parti présidentiel, pour soutenir l’initiative du chef de l’Etat, a du être annulée après l’appel à la contre-manifestation de Gabriel Kyungu. Une annulation qui constitue un revers notable pour la majorité présidentielle alors que l’ex-Katanga, et plus particulièrement les rues de Lubumbashi, se sont considérablement militarisées depuis ses derniers mois. Dans la foulée, Gabriel Kyungu en a profité pour inviter ce week-end à Lubumbashi les membres du G7, composés d’anciens frondeurs de la majorité présidentielle, afin de « réfléchir à une nouvelle stratégie » et rencontrer l’ancien gouverneur Moïse Katumbi. En ligne de mire de cette réunion, le rejet par la Commission électorale congolaise (CENI) de certaines candidatures pour l’élection des gouverneurs du 26 mars prochain. Des candidats de l’ancienne majorité, passés dans l’opposition, ont été écartés par la CENI. Gabriel Kyungu prévoit donc une présence massive devant le parquet de Lubumbashi lundi 7 mars où seront examiné par la justice les rejets de la CENI.
Intimidations
Depuis la création du G7 et la très probable candidature de Moise Katumbi à la présidentielle, le Katanga revient au centre de la contestation politique en RDC. La riche province minière paie le ralliement à l’opposition de ses principaux leaders locaux. Les manifestations publiques et politiques sont toutes interdites… sauf celles du PPRD et les rues de la capitale du cuivre sont désormais sillonnées par les forces de sécurité. Le 1er décembre 2015, Moïse Katumbi, qui est aussi le président du célèbre club de foot TP Mazembe, a été empêché par la police d’accéder au stade pour rencontrer les supporters du club. Trois supporters et un policier ont été blessés, selon l’AFP. Le pouvoir voyait d’un très mauvais oeil cette rencontre de Katumbi avec ses supporters qui pouvait tourner au meeting politique anti-Kabila. Les médias locaux proches de l’opposition sont également dans le viseur du pouvoir. Le 28 janvier 2016, deux médias proches de l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, ont été interdits d’émettre , sur ordre du ministère de la Communication congolais. Radiotélévision Nyota et la Télévision Mapendo font partie de la galaxie Katumbi et diffusent depuis Lubumbashi. Par cette interdiction, « c’est bien l’ex-gouverneur de la province qui semble visé » souligne la société civile katangaise qui s’inquiète de ces opérations d’intimidation. Depuis plusieurs semaines, l’avion privé de Moïse Katumbi ne peut plus atterrir à Lubumbashi. Les autorités de l’aéroport de Luano lui refusent désormais cette autorisation qui ne semblait poser aucun problème lorsque Katumbi faisaient partie de la majorité. L’ex-gouverneur craint également pour sa vie. Après une tentative d’empoisonnement en 2014, l’étrange accident de la circulation du 21 janvier 2016 laisse perplexe l’ancien gouverneur – voir notre article.
Coffre-fort et réservoir de voix
Autre personnalité dans le collimateur du pouvoir : Gabriel Kyungu. Le turbulent patron de l’Unafec s’est aussi prononcé contre le troisième mandat de Joseph Kabila et le démembrement du Katanga. Membre de la majorité, Kyungu a lui aussi quitté le navire pour rejoindre les frondeurs du G7. En novembre, Kyungu s’est vu empêché par les forces de l’ordre d’accéder à son lieu de culte de Lubumbashi. Quelques jours auparavant, le siège de l’Unafec avait été investi par des « hommes en uniformes » qui avaient arrêté huit militants du parti. Kyungu inquiète le pouvoir à cause de forte capacité de mobilisation de la population katangaise via l’Unafec, son parti politique. Le maintien de l’ordre au Katanga devient donc l’une des priorités de Joseph Kabila. Coffre-fort de la République (via notamment l’entreprise publique, Gécamines) et important réservoir de voix lors des élections, la province minière ne doit pas échapper au camp présidentiel s’il souhaite se maintenir au pouvoir. La RDC connait une crise politique sans précédent alors que la Constitution interdit au président Joseph Kabila de briguer un troisième mandat. L’opposition redoute que le pouvoir ne cherche à retarder le processus électoral afin de plonger le pays dans une période de transition et permettre ainsi au chef de l’Etat de rester en place. Joseph Kabila a donc mis en place un important dispositif politique, et surtout sécuritaire, pour garder l’ex-Katanga sous contrôle.
Garder le contrôle
Le président congolais peut encore compter sur quelques alliés (de circonstance) comme John Numbi, l’ex patron de la police, débarqué après l’affaire Chebeya, reclus dans sa ferme katangaise et que l’on soupçonne de « télécommander » le groupe armé Bakata Katanga à sa guise – voir notre article. Il y a aussi le commandant de la deuxième zone de défense, Jean-Claude Kifwa, à la manoeuvre dans la répression de l’Unafec à Lubumbashi. Le chef de l’Etat peut aussi compter sur le général Philémon Yav, patron de l’armée à Lubumbashi et réputé proche du chef de la « maison militaire » de la présidence, François Olenga. Zoé Kabila, frère du président et député du Katanga, constitue également une pièce maîtresse pour « tenir » la province. Il est « l’oeil et les oreilles du président au Katanga ». Prochaine étape importante pour la majorité présidentielle : les élections des nouveaux gouverneurs du 26 mars. Le pouvoir compte bien imposer ses propres candidats comme il l’a fait en nommant des commissaires spéciaux pour administrer les nouvelles provinces avant les élections. Après s’être « débarrasser » de son ancien allié (et futur concurrent ?) Katumbi, le président congolais ne souhaite pas voir le Katanga lui échapper. Le candidat de la majorité présidentielle pour succéder à Moïse dans la nouvelle province du Haut-Katanga (Lubumbashi) est déjà connu et validé par la CENI, il s’appelle Jean-Claude Mazembe Musonda.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia