Accusé de « complicité de crimes contre l’humanité », commis entre 2002 et 2003 en République démocratique du Congo (RDC), l’ancien rebelle Roger Lumbala pourrait être jugé aux assises en France en 2025. La milice de Roger Lumbala venait en appui à la branche armée du MLC de Jean-Pierre Bemba, l’actuel ministre de la Défense et allié politique du président Félix Tshisekedi. L’affaire Lumbala peut-elle rebondir au Congo ?
A l’heure où le Nord-Kivu s’enflamme de nouveau, depuis la résurgence de la rébellion du M23 en 2021, les fantômes de la « deuxième guerre du Congo » refont surface en France. Un de ces fantômes s’appelle Roger Lumbala et dirigeait le Rassemblement congolais pour la démocratie nationale (RCD-N), un groupe armé actif dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) au début des années 2000. La Cour d’appel de Paris a confirmé le 28 février 2024 sa mise en accusation pour « complicité de crimes contre l’humanité » commis en RDC entre 2002 et 2003. L’ex-rebelle a, en effet, été interpellé à Paris en janvier 2021. En novembre 2023, trois juges ont rendu une ordonnance de mise en accusation comprenant des meurtres, torture, viols, pillages et réduction en esclavage, y compris esclavage sexuel, ainsi que pour « entente en vue de commettre des crimes contre l’humanité ».
« Effacer le tableau »
Le RCD-N, et ses alliés, auraient commis ces atrocités au cours d’une opération militaire, ironiquement appelée « Effacer le tableau », menée au Nord-Kivu et en Ituri. Les combats opposent alors le RCD-N à son rival de l’époque, issu d’une scission, le RCD-ML de Antipas Mbusa Nyamwisi. Une lutte pour le contrôle de la région de Mambasa, Beni et Butembo, riche en ressources naturelles, qui se déroule aux côtés d’une autre milice, l’Armée de libération du Congo (ALC), le bras armé du Mouvement de libération du Congo (MLC) de l’actuel ministre de la Défense Jean-Pierre Bemba. Pour les ONG TRIAL International, Minority Rights Group, The Clooney Foundation For Justice et Justice Plus, qui se sont constituées parties civiles, « Nul n’a été épargné » dans cette opération militaire. « Des hommes, des femmes et des enfants de tous âges ont été pris pour cible, en particulier des membres de certains groupes ethniques et peuples autochtones. De nombreux jeunes hommes ont été réduits en esclavage, forcés à transporter le butin de leurs assaillants » indique un communiqué des ONG. Roger Lumbala est accusé d’avoir donné des ordres de torture et d’avoir aidé ou assisté les troupes du RCD-N, notamment en fournissant le ravitaillement nécessaire.
Rebelle et ministre
La fin de la guerre, en 2003, propulse Roger Lumbala au gouvernement grâce à la fameuse formule de partage du pouvoir « 1+4 ». Lumbala se mue en homme politique et fait un passage éclair au ministère du Commerce extérieur avant de se faire débarquer par Joseph Kabila pour « détournement de fonds. » Ironie du sort, c’est sa femme qui va avantageusement le remplacer. Le rebelle fait désormais « des affaires » dans le marigot kinois où la politique est devenue un business comme les autres. Il soutient l’opposant historique Etienne Tshisekedi (le père de l’actuel président) à la présidentielle de 2011 et se fait élire député du Kasaï. Agitateur politique fantasque, l’honorable député Roger Lumbala a pour cible Joseph Kabila, le président réélu, qu’il menace régulièrement. En 2012, Kinshasa le soupçonne de vouloir réactiver une rébellion contre le pouvoir central menée par John Tshibangu, un colonel déserteur – voir notre article. Kinshasa le fait interpeller au Burundi où des rébellions sont actives à l’Est du Congo. Il se réfugie à l’ambassade d’Afrique du Sud et regagne la France où vit sa famille.
Soutien au M23
A Paris, le statut de réfugié politique lui est refusé. Mais Roger Lumbala a trouvé entre temps une nouvelle cause à défendre : les rebelles du M23 qui contestent le pouvoir de Joseph Kabila et marchent sur la ville de Goma, qu’ils occuperont brièvement fin 2012. Le 1er janvier 2013, le site officiel du M23 annonce la présence de Roger Lumbala à Bunagana comme « invité » aux pourparlers de Kampala entre le M23 et le gouvernement congolais. Il est nommé chef de la délégation adjoint aux négociations. En 2016, l’ancien rebelle fait l’objet d’un « signalement auprès du pôle crimes contre l’humanité du parquet de Paris ». Mais Roger Lumbala l’ignore. Avec l’arrivée à la présidence de Félix Tshisekedi, le fils de l’opposant Etienne Tshisekedi, Roger Lumbala croit pouvoir encore peser sur l’échiquier politique congolais. Le 30 août 2020, l’ex-rebelle revient au pays et lance devant un parterre de journalistes une nouvelle plateforme politique : Base de la République. Mais la roue a tourné à Kinshasa, et Roger Lumbala n’intéresse pas le nouveau pouvoir.
Lumbala se pourvoit en cassation
En détention provisoire de 2020 en France, le sort de Roger Lumbala dépend désormais de la justice française. Après un premier appel suite à sa mise en examen, sa mise en accusation a été confirmée le 28 février dernier et ouvre la voie à un procès aux assises. Interrogé par Afrikarabia, l’avocat de Roger Lumbala, annonce que son client va se pourvoir en cassation « avec effet suspensif ». « Il n’y aura pas de renvoi devant une cour d’assises tant que ce pourvoi ne sera pas examiné par la Cour de cassation » indique Me Philippe Zeller. Le résultat de ce pourvoi devrait intervenir avant l’été. Pour Roger Lumbala et son conseil, « le dossier souffre de vives contestations » sur la procédure, comme sur le fond. Il faut rappeler que la procédure contre l’ex-rebelle congolaise a été rendue possible en France grâce au principe de compétence universelle, qui permet à certains pays de poursuivre les crimes les plus graves, et ce indépendamment du lieu où ils ont été commis ou de la nationalité de leurs auteurs ou de celle des victimes.
« Des preuves indirectes et fragiles »
Selon l’avocat de Roger Lumbala, cette compétence universelle doit être « subsidiaire et dérogatoire, et la France n’est pas la mieux placée pour appréhender les réalités de faits qui sont commis à plus de 8.000 kilomètres, dans un autre pays et dans un contexte historique, politique et culturel qui nous sont étrangers ». La défense indique que la justice française n’a pas voulu se rendre sur place pour enquêter, pour des raisons de sécurité, et donc que « les accusations contre Roger Lumbala reposent sur des preuves indirectes qui sont excessivement fragiles et des témoignages qui sont sujet à caution ». Pour que la compétence universelle puisse s’appliquer, la justice doit s’assurer que Roger Lumbala ne soit pas l’objet d’une demande d’extradition par une juridiction internationale ou un Etat pour les mêmes chefs d’inculpation. Ce qui n’a visiblement pas été fait. Selon Me Zeller, « le ministère public n’a conduit aucune investigation pour savoir si monsieur Lumbala était poursuivi pour les mêmes faits, et n’a pas contacté les autorités congolaises sur le sujet pour connaître le statut pénal de mon client ».
Une demande d’extradition en 2013
Après avoir mené sa propre enquête, Philippe Zeller indique à Afrikarabia que son client avait bien fait l’objet d’une demande d’extradition par la RDC en 2013, dont la France était destinataire, et « notamment pour les chefs d’inculpation pour lesquels il est poursuivi à Paris ». L’avocat estime que la Cour de cassation « pourra se prononcer plus avant sur ce point ». Toujours d’après le conseil de Roger Lumbala, « cette demande d’extradition pourrait être renouvelée et mon client se tiendra alors à la disposition de la justice de son pays ». Sur le fond du dossier, les arguments de la défense reposent sur l’absence d’enquête de la justice au Congo. « On n’a eu pas d’enquête de terrain. C’est extrêmement gênant pour déterminant si vous avez des preuves suffisantes pour amener quelqu’un avant une cour d’assises. D’autant que les peines encourues sont très lourdes. On parle de réclusion à perpétuité. Il faut que les preuves soient crédibles et vérifiables. Dans le dossier, on a des rapports onusiens contestables et contestés, des témoignages contestables et contestés. Enfin, nous avons des demandes d’audition de témoins crédibles qui nous ont été refusés. Ce qui rend d’autant plus fragiles les fondements de l’accusation ».
Des témoignages « solides »
L’ONG Trial International, partie civile dans l’affaire Lumbala, a facilité et organisé les auditions d’une vingtaine de témoins en France lors de l’instruction. Daniele Perissi, responsable du programme Grands Lacs de Trial International estime que les preuves et les témoignages recueillies sont « solides ». « Il n’y a pas vraiment de doute concernant l’opération « Effacer le tableau ». Il y a beaucoup de documentations sur ces faits et sur la manière dont l’opération a été conduite. Il n’y a pas de doute sur la systématicité, l’organisation et la planification de ces crimes, qui sont bien des crimes contre l’humanité ». Concernant le mandat d’arrêt lancé par Kinshasa en 2013, Daniel Perissi pense qu’il est plutôt en lien avec la participation de Roger Lumbala à la rébellion du M23 et non en rapport avec les crimes de 2002-2003. Dans un article d’Afrikarabia que nous avons publié en 2014, nous avions interrogé Roger Lumbala, en exil à Paris. A cette époque, il souhaitait pouvoir bénéficier de la loi l’amnistie qu’offrait Kinshasa aux membres des groupes armés pour « faits insurrectionnels et politiques ». Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement, avait affirmé alors que Roger Lumbala n’était pas amnistiable. En cause, son soutien au colonel déserteur John Tshibangu, qui avait fait défection avec certains de ses hommes à l’été 2012 – voir notre article.
Lumbala n’est pas seul dans l’opération « Effacer le tableau »
L’arrestation de Roger Lumbala à Paris et la perspective d’un prochain procès ont été beaucoup commentées à Kinshasa. L’ancien rebelle a traversé l’Histoire très agitée du pays depuis la chute de Mobutu en 1997. Mais encore aujourd’hui, des personnalités congolaises sont reliées aux crimes que l’ont reprochent à l’ancien rebelle et à la fameuse opération « Effacer le tableau ». Il y a tout d’abord le plus connu de tous : Jean-Pierre Bemba. Les troupes du patron du MLC, aujourd’hui ministre de la Défense et allié politique du président Félix Tshisekedi, sont elles aussi impliquées dans l’opération, selon le rapport Mapping des Nations unies. Son aile miliaire, l’ALC, était commandée par un certain Constant Ndima, ex-gouverneur du Nord-Kivu, nommé en 2021 par Félix Tshisekedi pour assurer l’état de siège dans la province, en proie à la rébellion du M23. Le militaire a été écarté après un massacre commis par des membres de la garde présidentielle lors d’une manifestation en août 2023, qui avait fait plus de 50 morts. Roger Lumbala et son RCD-N, le « petit allié du MLC », n’est donc pas seul dans cette affaire.
Charger Bemba et Ndima ?
A Kinshasa, certains médias locaux évoquent un possible « effet papillon » depuis l’arrestation de Roger Lumbala. En ligne de mire : Jean-Pierre Bemba et Constant Ndima. Si aucune autre personnalité n’est visée par la procédure, les spéculations vont bon train sur de possibles révélations et accusations qui pourraient être faites au cours du procès. Un article d’Africa Intelligence révèle que sur le procès-verbal d’interrogatoire, Roger Lumbala aurait fait mention du rôle de Constant Ndima et de son supérieur hiérarchique, Jean-Pierre Bemba dans l’opération « Effacer le tableau » – voir l’article. Ce n’est visiblement pas ce que souhaite faire savoir Me Zeller aujourd’hui, qui affirme que son client « n’a cité à aucun moment d’autres personnalités ». La ligne de défense actuelle de l’ex-rebelle n’est donc pas (ou plus) de charger Jean-Pierre Bemba et Constant Ndima, mais plutôt de convaincre « qu’il n’avait pas de troupes sous ses ordres, et qu’il n’est, en aucun cas, complice des faits qui lui sont reprochés ». Pour Daniele Perissi, cet argument sera difficile à tenir. « Il est vrai que Roger Lumbala tente de se présenter comme un simple politicien. Mais dans le contexte de cette deuxième guerre du Congo, est-il possible de contrôler un territoire aussi important que l’ancienne province orientale sans avoir une branche militaire sous ses ordres, ou qui soit mise à disposition ? Cela paraît impossible. Car il faut rappeler que Roger Lumbala n’est pas inculpé en tant que chef militaire, mais en tant que complice des crimes. Et là-dessus, il y a peu de doutes ».
Une épée de Damoclès au dessus de Bemba ?
Un probable procès Lumbala en France peut-il avoir des répercutions au Congo concernant les autres acteurs de l’opération « Effacer le tableau » ? Daniele Perissi considère que « si ce dossier éclaire sur la responsabilité de personnalités au sein de l’appareil étatique congolais, il est très important que la RDC puisse continuer à lutter contre l’impunité en activant notamment des enquêtes. Il serait intéressant que ce procès en France fasse partie du processus de justice transitionnelle sur lequel le gouvernement insiste beaucoup depuis 2 ans ». Pour autant, l’affaire est sensible à Kinshasa, et il n’est pas sûr que les autorités congolaises se risquent à un grand déballage. La coopération judiciaire est d’ailleurs au point mort avec le juge d’instruction français. Pour l’instant, le poids politique de Jean-Pierre Bemba et son entrée au gouvernement au poste très stratégique de ministre de la Défense en pleine guerre à l’Est du pays rendent intouchable le patron du MLC. Mais l’allié de Félix Tshisekedi, dont personne n’ignore les ambitions présidentielles, pourrait se transformer en possible concurrent politique pour le camp présidentiel en 2028. L’affaire Lumbala et le nom de Jean-Pierre Bemba dans le rapport Mapping des Nations unies font peser une réelle menace judiciaire sur l’avenir du chef du MLC. Félix Tshisekedi détient donc le destin de Jean-Pierre Bemba entre ses mains. Quant à Roger Lumbala, on voit bien qu’une extradition vers Kinshasa, avec une justice congolaise aux ordres du pouvoir en place, pourrait lui offrir une très improbable porte de sortie. Avant l’été, l’ancien rebelle sera fixé sur son pourvoi en cassation. Le procès pourrait intervenir courant 2025.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Roger Lumbala politicien Congolais fantasque aux multiples casquettes est en procès à Paris pour ‘complicité de crimes contre l’humanité’ commis entre 2002 et 2003 dans l’Est de la RDC. Les faits d’alors prouvent que le mouvement de Lumbala était allié politique et militaire de Bemba aujourd’hui au gouvernement de Tshisekedi. A côté de Bemba une autre personnalité est épinglée dans les crimes qui lui sont reprochés, Constant Kadima, ci-devant gouverneur militaire du Nord-Kivu, nommé par Félix dans le cadre de l’état de siège aujourd’hui débarqué notamment après le massacre par la garde republicaine en août 2023 de près d’une centaine de civils manifestants sans armes à Goma.
Alors « effet papillon » qui toucherait Bemba et Ndima ?
Bemba est aujourd’hui bien installé au sein du pouvoir en place, on voit mal qu’un procès vienne le déstabiliser de Paris, un coup dur pour le gouvernement de Tshisekedi. On peut parier que d’ici là celui-ci déploie tous les parapluies légaux pour éloigner cette affaire…
Merci pour cet article .