Médias d’opposition fermés, manifestations interdites, arrestations d’opposants… la riche province minière s’enfonce dans la répression politique alors que la société civile dénonce une augmentation de l’insécurité à Lubumbashi.
Province frondeuse, le Katanga paie-t-il le ralliement à l’opposition de la majorité de ses leaders locaux ? Depuis le 28 janvier, deux médias proches de l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, n’émettent plus, sur ordre du ministère de la Communication congolais. Radiotélévision Nyota et la Télévision Mapendo font partie de la galaxie Katumbi et diffusent depuis Lubumbashi. Par cette interdiction, c’est bien l’ex-gouverneur de la province qui semble visé. En septembre dernier, Moïse Katumbi a décidé de claquer la porte de la majorité présidentielle pour rejoindre les rangs de l’opposition. L’ex-gouverneur de la riche province minière reproche au président Kabila de vouloir briguer un troisième mandat, ce que lui interdit la Constitution congolaise. Probable candidat à la prochaine présidentielle, Katumbi est devenu la bête noire de la majorité en même temps qu’il apparaît comme le concurrent le plus sérieux du camp Kabila. Avec ses chaînes de télévision fermées, l’interdiction d’atterrir pour son avion privé et un « étrange » accident de voiture à Lubumbashi la semaine dernière, ces multiples pressions sur Katumbi alimentent une nouvelle fois la thèse selon laquelle le pouvoir cherche à l’éliminer politiquement… ou physiquement – voir notre article. En 2014, le gouverneur du Katangais avait déjà été victime d’une tentative « d’empoisonnement » soignée en urgence à Londres.
Dans le viseur : Katumbi, Kyungu, Muyambo
Pour fermer les deux chaîne de télévision, le gouvernement affirme que ces médias étaient en délicatesse avec le fisc congolais. Un motif aussitôt démenti par le patron des deux chaînes, qui affirme, documents à l’appui, s’être acquitté « des frais relatifs au droit de déclaration préalable, à la redevance de contrôle de conformité et à la redevance audiovisuelle ». Pour l’heure, c’est écran noir sur les deux chaînes de Lubumbashi. Mais Moïse Katumbi n’est pas le seul à avoir été « puni » par les autorités congolaises. Il y a un an, Radio Télé Lubumbashi Jua avait été interdite par le directeur de cabinet du ministre des Médias. Il reprochait à la chaîne, appartenant à Jean-Claude Muyambo, « d’incitation à la haine et à l’insurrection ». En janvier 2015, Jean-Claude Muyambo a d’ailleurs été placé en détention pour les mêmes motifs, après avoir quitté avec fracas la majorité présidentielle. Il dénonçait lui aussi la tentative du maintien au pouvoir de Joseph Kabila après 2016. Autre personnalité dans le collimateur du pouvoir : Gabriel Kyungu. Le turbulent patron de l’Unafec s’est aussi prononcé contre le troisième mandat de Joseph Kabila et le démembrement du Katanga. Membre de la majorité, Kyungu a lui aussi quitté le navire pour rejoindre les frondeurs du G7. En novembre, Kyungu s’est vu empêché par les forces de l’ordre d’accéder à son lieu de culte de Lubumbashi. Quelques jours auparavant, le siège de l’Unafec avait été investi par des « hommes en uniformes » qui avaient arrêté huit militants du parti.
Manifestations interdites, sauf… pour le PPRD
Depuis l’entrée en dissidence de ces anciens leaders de la majorité présidentielle, les manifestations publiques ont été interdites à Lubumbashi. Le 1er décembre 2015, Moïse Katumbi, qui est aussi le président du célèbre club de foot TP Mazembe, a été empêché par la police d’accéder au stade pour rencontrer les supporters du club. Trois supporters et un policier ont été blessés, selon l’AFP. Le pouvoir voyait d’un très mauvais oeil cette rencontre de Katumbi avec ses supporters qui pouvait tourner au meeting politique anti-Kabila. Depuis l’automne, aucune manifestation de l’opposition n’a pu se tenir dans les rues de la capitale du cuivre sauf… celle du PPRD, le parti présidentiel. Le 29 octobre 2015, le patron du PPRD a pu être accueilli par ses militants « sans restriction » et le 19 décembre, une marche de soutien au dialogue national du président Joseph Kabila a été organisée à Lubumbashi sans provoquer de réactions des forces de l’ordre.
« Des agresseurs portant des tenues de l’armée ou de la police »
Dans cette ambiance délétère, la société civile s’inquiète de la recrudescence de l’insécurité dans la capitale provinciale. Un paradoxe, alors que la ville est désormais « fortement militarisée ». Selon le Centre des Droits de l’Homme et du Droit Humanitaire (CDH), la Ligue Contre la Fraude et la Corruption (LICOF) et JUSTICIA, les attaques « d’hommes armés » se multiplient contre les civils. Des assaillants portant le plus souvent « des tenues de l’armée ou de la Police nationale congolaise ». Les trois ONG affirment « qu’il ne se passe pas un seul jour dans que les armes crépitent dans la ville causant morts d’hommes et perte de biens ». Et d’égrainer les violences de ces dernières semaines à Lubumbashi : « Dans la nuit du 24 au 25 décembre 2015, un corps sans vie, égorgé a été retrouvé sur l’avenue Manguier au quartier Bel air. Début janvier 2016, un enfant âgé d’environ 10 ans a été tué par balle pour avoir reconnu un des bandits qui avaient dévalisé sa maison. Dans la nuit du 23 au 24 janvier sur l’avenue Kolwezi coin Basanga au quartier GCM, un homme d’une trentaine d’année a été poignardé par des hommes en uniforme. Le 26 janvier, au niveau l’arrêt bus communément appelé Double poteaux, quartier Kalubwe, un conducteur de moto a reçu 4 balles dans les jambes. Toujours le 26 janvier, une attaque a eu lieu dans la boite de nuit B52 située dans le quartier Kabulameshi, causant la mort du gérant du lieu par balles. Selon les témoignages, les assaillants étaient vêtus de tenue de la Police nationale Congolaise ».
Lubumbasi « fortement militarisé »
Cette brusque recrudescence de l’insécurité étonne ces organisations de la société civile. Ces nombreuses attaques se produisent dans la capitale provinciale alors que « les forces de sécurité sont fortement déployées en ville ». « La chose surprenante est que ces forces ne sont capables que de réprimer les personnes ou les membres des partis politiques qui tentent d’organiser des manifestations pacifiques ou ceux qui répondent au mot d’ordre de prière de Moïse Katumbi en vue de l’organisation des élections dans le délai constitutionnel » remarque les défenseurs des droits de l’homme du Katanga. La forte militarisation de Lubumbashi semble en effet répondre à « l’impératif de la répression contre les groupes opposés au 3ème mandat de Joseph Kabila » plus qu’à la sécurisation de la population. La tension qui règne à Lubumbashi pourrait franchir une nouvelle escalade avec la marche des chrétiens du 16 février prochain. Une mobilisation à laquelle a décidé de se joindre le Front citoyen 2016 qui regroupe les principaux parti d’opposition.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia