Dans son livre « Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira », Justine Brabant propose un décryptage salutaire des guerres du Congo et de mieux comprendre le petit monde des groupes armés qui sévissent encore au Kivu.
En guerre depuis 1996, l’Est de la République démocratique de Congo (RDC) est le théâtre d’un conflit sans fin où se côtoie encore aujourd’hui une soixantaine de groupes armés. Dans son ouvrage « Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira », la journaliste et chercheuse Justine Brabant (*) , nous emmène sur les routes du Nord et du Sud-Kivu à la rencontre des combattants Mayi-Mayi, ces groupes locaux d’autodéfense qui pullulent toujours à l’Est du gigantesque Congo. Mêlant enquête journalistique et carnet de voyage personnel, Justine Brabant offre une lecture éclairée du destin de ces hommes qui ont pris un jour les armes et ne les ont pas lâchées depuis. Mais la plus grande qualité de ce livre est de tordre le cou à certaines idées reçues sur une région complexe et un conflit souvent mal perçu.
Un si long conflit
Prétexte à ce long voyage de trois ans à travers le Sud et le Nord-Kivu : une liste de combattants fournie par un vieux général Mayi-Mayi : Mzee Zabuloni. Au fil des rencontres, la parole des combattants laissent la place à des paroles d’hommes. On y apprend comment en entre en guerre « petit à petit », « comme un jeu » et surtout comment on y reste. « Se demander pourquoi et comment des combattants se sont engagés dans une longue et douloureuse guerre n’a pas de sens, écrit Justine Brabant. On sait aujourd’hui que les guerres du Congo durent depuis vingt ans (…), des gens comme Abdou ou Martin qui, un matin de l’été 1996, se mirent à rassembler quelques fusils pour se défendre, l’ignoraient ».
« Se méfier des mots »
Dans les collines du Kivu, l’auteure dresse le portrait de deux générations de combattants. Pour l’une « le maquis était une urgence face à une offensive rwandaise », alors que pour l’autre, elle est « à la poursuite d’une socialisation aux armes acquise aux côtés du père, une source de revenus faute de mieux ». La prise des armes est donc devenue un métier et un moyen de survivre. Justine Brabant se méfie aussi des mots. Le terme de « rebelle » utilisé pour nommer les groupes armés de l’Est du Congo, « il faut s’en méfier ». « Rebelle sonne bien pourtant , donne envie d’imaginer des colonnes d’insoumis, des drapeaux au vent (…) autrement dit des combattants qui refusent l’autorité du gouvernement central et veulent le faire tomber, comme le M23 ». Mais concernant la nébuleuse des groupes d’autodéfense, « la plupart des Mayi-Mayi ne combattent pas pour changer de régime : tout au plus réclament-ils de meilleures places aux sein des institutions militaires ».
« Armée bouillabaisse »
Justine Brabant touche du doigt l’une des problématiques les plus complexes des guerres congolaises : les intégrations multiples des différentes rébellions dans l’armée régulière. Un cercle vicieux composé de rébellions, d’intégration… puis de nouvelles rébellions. L’armée congolaise (FARDC) est alors devenue ce que la chercheuse Judith Verweijen appelle une « armée bouillabaisse mi-cuite ». Dans la logique d’intégration des rebelles dans l’armée « c’est plutôt leur potentiel de nuisance qui intéressait les autorités. Brasser tous les anciens insurgés au sein d’une même armée nationale recomposée afin d’avoir à l’oeil les trouble-fête potentiels ». L’ouvrage s’attaque aussi au nombre de morts du conflit congolais, ainsi qu’à l’image du Congo « capitale du viol ». L’auteure revient sur les 5 millions de morts avancés par l’International Rescue Committee (IRC) qui a dû extrapoler à partir des territoires accessibles et finir par s’emmêler les pinceaux entre les morts directes et indirectes ; avant qu’un journaliste, Nicholas Kristof extrapole à partir des extrapolations pour arriver au chiffre de 6,9 millions. Sans minimiser l’ampleur des atrocités au Congo (loin de là), Justine Brabant revient également sur l’image de « capitale du viol » du pays et dénonce les chiffres exagérés « intentionnellement » par les ONG locales et internationales,« dont le nombre est passé en dix ans de moins de dix à trois cent ». « Qu’importe si les chiffres sont exagérés, pourrait-on se dire, écrit Justine Brabant, s’ils parviennent à mobiliser l’opinion et les décideurs internationaux (…) Mais à terme, ces exagérations risquent de décrédibiliser les témoignages de femmes effectivement victime de violences ».
« Il y a seulement des conflits politiques »
Enfin, dans une démonstration très intéressante, l’auteure dénonce l’utilisation de l’expression « conflit ethnique » concernant les guerres du Congo. « Il n’y a pas de conflit ethnique. Le sentiment d’appartenance ethnique n’a jamais à lui seul, conduit des hommes et des femmes à s’affronter. Dans l’histoire des guerres de l’Est, des Hutus, ont combattu aux côtés de Tutsis, des frères se sont entre-déchirés. Il y a seulement des conflits politiques, souligne très justement Justine Brabant, car portant sur la gestion et le partage du pouvoir ». Une analyse qui sonne particulière juste aujourd’hui, alors que le pays s’enfonce dans une crise politique aiguë. L’opposition accuse le président Joseph Kabila de vouloir retarder volontairement l’élection présidentielle de fin 2016 afin de se maintenir au pouvoir. La Constitution congolaise interdit en effet au président congolais de briguer un troisième mandat. Un « glissement » du calendrier électoral qui pourrait de nouveau entraîner la RDC dans l’instabilité… du pain bénit par les dizaines de groupes armés.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
(*) « Qu’on nous laisse combattre et la guerre finira » de Justine Brabant. Editions La Découverte – 248 pages – 21 euros.