Le procès en appel de deux membres du commando qui ont éliminé Floribert Chebeya et Fidèle Bazana s’ouvre ce mercredi à Kinshasa. Paul Mwilambwe, seul témoin oculaire du double assassinat, revient sur la réouverture du procès Chebeya et met en doute l’impartialité de la justice militaire.
Reporté à deux reprises, le procès en appel de Jacques Mugabo et Christian Ngoy Kenga Kenga doit s’ouvrir ce mercredi 13 octobre. Ils sont accusés d’avoir participé au double assassinat du défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana, le 1er juin 2010. En 2011, lors d’un procès première instance, ces deux membres du commando, alors en cavale, avaient été condamnés à mort par contumace. Tout comme Paul Mwilambwe, témoin oculaire de l’élimination du célèbre militant des droits de l’homme et de son chauffeur. Paul Mwilambwe avait divulgué dès 2012 tous les noms des membres du commando de tueurs. Le major de police avait tout vu du double assassinat à travers les écrans des caméras de surveillance de l’inspection générale de la police dirigée par John Numbi. Aujourd’hui, il vit en exil en Belgique.
Afrikarabia : Qu’attendez-vous de la reprise du procès et des témoignages de Jacques Mugabo et Christian Ngoy Kenga Kenga ?
Paul Mwilambwe : J’attends mon acquittement de la part de la justice militaire, qui m’a condamnée illégalement à mort par contumace sous prétexte que j’étais en fuite. Mais c’est faux et archi-faux. J’étais entre les mains de la justice le 14 avril 2011. C’est le procureur militaire, le général Ponde, le colonel Franck Molisho actuellement général, et le colonel Eddy Nzabi qui m’ont livré entre les mains des services secrets du président Joseph Kabila pour que je ne comparaisse pas. Donc, la cour militaire qui siège actuellement, doit avoir le courage de faire ce que de droit. S’agissant de Jacques Mugabo et de Christian Ngoy Kenga Kenga, ils doivent dire toute la vérité sur ce qui s’est passé le 1er juin 2010, et ils ne doivent pas protéger qui que ce soit, quelque soit son rang.
Afrikarabia : Début 2021, trois policiers en exil, qui ont participé au double assassinat de Chebeya et Bazana, sont sortis de leur silence en témoignant. Qu’ont apporté ces révélations ?
Paul Mwilambwe : J’ai suivi leurs témoignages au micro de RFI et de la RTBF, dans une interview réalisée par Thierry Michel. Ces trois policiers ont plaidé coupable en confirmant mes révélations de 2012, et aucun d’entre eux ne m’a impliqué dans le double assassinat de Chebeya et Bazana. Comme vous le savez, j’ai toujours clamé mon innocence et leurs révélations le confirment.
Afrikarabia : Un autre accusé se trouve également en prison, il s’agit du colonel Daniel Mukalay. Doit-il de nouveau comparaitre selon vous et pourquoi ?
Paul Mwilambwe : Concernant le colonel Mukalay, en 2019 RFI m’avait posée la même question, mais je ne peux pas répondre à la place des concernés. C’est à la cour militaire d’apprécier si ce dernier doit comparaître. Néanmoins, sa nouvelle version est très attendue. Il est maintenant en prison depuis presque 11 ans et ce n’est pas facile. La cour doit surtout tenir compte de sa sécurité, parce qu’il est en danger.
Afrikarabia : Après le Sénégal, vous êtes actuellement réfugié en Belgique, êtes-vous prêt à retourner en RDC pour témoigner devant la justice ?
Paul Mwilambwe : Quand j’étais au Sénégal, j’avais demandé à être extrader dans mon pays. Depuis, il y a eu silence absolu du côté de la RDC, mais aussi du côté Sénégal. J’ai mis les deux Etats devant le fait accompli. Maintenant que je suis en Belgique, le contexte a changé, je suis demandeur de la protection internationale, j’en ai besoin et c’est ça ma priorité. Dans quelle langue voulez-vous que je parle pour me faire comprendre ? Je vais devoir affronter la justice encore combien de fois ? Je l’ai fait en 2011 devant le procureur militaire Ponde. Puis, il y a eu une plainte qui a été déposée contre moi au Sénégal en 2014 par les familles des victimes, et la justice sénégalaise s’était alors déclarée compétente pour me juger. Après tout ce temps, vous connaissez la suite ? Il ne s’est rien passé !
Afrikarabia : Vous avez toujours mis en cause Joseph Kabila et John Numbi comme les véritables commanditaires de l’assassinat. John Numbi est en fuite, et l’ancien Joseph Kabila est toujours au Congo. Maintenez-vous ces accusations et quelles preuves avez-vous ?
Paul Mwilambwe : Les preuves sont là, mais je ne peux pas les étaler à votre micro. Plusieurs ONG des droits de l’homme et même les familles des victimes voulaient que ce double assassinat soit considéré comme un crime d’État, et là on voit apparaître la tête du président Joseph Kabila. Malheureusement, à l’allure où vont les choses, le pouvoir actuel semble vouloir protéger l’ancien président. Ma vie est donc en danger, car je suis le premier lanceur d’alerte de ce double assassinat.
Afrikarabia : Quels sont les éléments qui vous font craindre de retourner au Congo ?
Paul Mwilambwe : Même si le général John Numbi est en fuite et que le président Joseph Kabila n’est plus au pouvoir, cela ne diminue pas mes craintes. Les juges de l’époque, le général Ponde, le général Franck Molisho, le Colonel Eddy Nzabi, sont toujours en place ! Les hauts cadres de l’ANR qui m’ont torturé, séquestré plusieurs mois, comme Consule Numbi, Monga Mande, monsieur Amisi… sont toujours là ! A Lubumbashi, où on m’a transféré.en secret, il y a des autorités civiles et militaires qui n’apprécieraient pas mon retour. Je mets en cause la justice elle même dans cette affaire. Je suis devenu l’ennemi de nombreuses autorités qui continuent d’exercer de hautes fonctions en RDC. Toutes ces personnes n’accepteraient pas que je rentre. La liste est longue, et il ne faut pas oublier le démenti, au nom du gouvernement congolais, de Lambert Mende, qui disait que j’étais bègue.
Afrikarabia : Vous ne faites pas confiance à la justice militaire congolaise pour remonter la chaîne des responsabilités dans ce double assassinat ?
Paul Mwilambwe : Je dois faire confiance à cette justice, mais j’ai beaucoup de doutes. Notamment parce que nous étions nombreux à dire que le suspect numéro un de ce double assassinat était bel et bien le général John Numbi. Et là, on se pose vraiment la question de savoir comment il a quitté le pays sans être arrêté ? La justice en sait quelque chose. On a arrêté Christian Ngoy, Jacques Mugabo… et pas Numbi ?
Afrikarabia : Vous êtes actuellement exilé en Belgique, mais votre famille se trouve au Sénégal, qui est le premier pays dans lequel vous avez trouvé refuge. Quelle est la situation de vos proches ?
Paul Mwilambwe : La situation de mes proches est vraiment catastrophique au Sénégal. Il faut savoir qu’au Congo, mon épouse Clémentine Bumba Mayalale avait déjà été la cible du général John Numbi. Il a attenté à sa vie le 5 juillet 2014 à Lubumbashi. Chose déplorable, le général John Numbi a utilisé Christian Ngoy Kenga Kenga, Jacques Mugabo et son secrétaire particulier Thierry Mande pour tenter de l’éliminer. Ma famille est également une victime de ce double assassinat. Elle vit dans la peur, dans la clandestinité, dans les traumatismes, et je prie que le bon Dieu la protège.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia