Un colloque est organisé ce lundi 9 mars au Sénat, sur le thème « L’Afrique des Grands Lacs, 60 ans de tragique instabilité ». Ses organisateurs ont évité toute publicité et refusé la plupart des demandes d’accréditation des journalistes et des chercheurs spécialiste de la question. Bizarre pour une conférence hébergée par la Haute assemblée, patronnée par deux sénateurs anciens ministres de la Défense, Alain Richard (LREM) et Gérard Longuet (LR). Et par l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée à l’époque du génocide des Tutsi.
« Nous vous remercions de votre intérêt pour notre colloque du 9 mars 2020 mais nous sommes au regret de vous informer que nous n’avons plus aucune place disponible. Nous ne pouvons donc pas valider votre inscription. Vous priant de bien vouloir nous en excuser. Très cordialement. Le comité organisateur ».
Plus de dix journalistes et chercheurs connus ont reçu ce message. L’anonymat de son scripteur et la raison invoquée ne manquent pas d’étonner. Car le carton du programme semble très officiel : « Avec le soutien du Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018, et le parrainage de l’Académie des Sciences d’Outre-mer ».
Aucune raison apparente de débattre en vase clos. Mais ni le site du Sénat, ni celui de l’Académie ne mentionnaient la rencontre. Aucune raison… sinon peut-être la personnalité atypique des intervenants de l’après-midi. Judi Rever est une journaliste canadienne qui a fait du conspirationnisme (sinon du négationnisme du génocide des Tutsi) son fond de commerce, comme Afrikarabia l’a indiqué voici déjà deux ans.
Les Editions Fayard refusent de publier Judi Rever en français
« La journaliste canadienne accuse notamment le FPR d’avoir infiltré les milices hutu Interahamwe et d’avoir participé directement au massacre des Tutsi. », résume Jeune Afrique. Judi Rever a publié In Praise of blood, the crimes of the Rwandan Patriotic Front en 2018 chez le grand éditeur Penguin Random House. Le livre a connu un certain succès en Amérique du Nord. En France, les éditions Fayard ont renoncé à publier une traduction française après avoir pris connaissance du contenu….
De même Charles Onana, un Camerounais-Italien-Français, « spécialiste du Rwanda » (où il ne se serait jamais rendu), est « auteur de plusieurs ouvrages polémiques sur le génocide des Tutsi, dans lesquels il accuse la rébellion du FPR d’avoir commis un double génocide », rappelle encore Jeune Afrique. Livre après livre, M. Onana répète que « la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle »
Helen Epstein, enseignante américaine multiplie depuis des années les déclarations provocatrices. Quand à Jean-Marie-Vianney Ndagijimana, qui se qualifie d’ « essayiste », il est l’auteur de pamphlets qui répètent inlassablement la même antienne : « Paul Kagame a sacrifié les Tutsi ».
Offrir la tribune du Sénat au groupe le plus radical
Dès que le carton d’invitation a « fuité », tous les historiens et spécialistes des organisations de défense des droits de l’homme ont compris que derrière l’intitulé banal du colloque « L’Afrique des Grands Lacs…», il serait question d’offrir la tribune du Sénat au groupe le plus radical de adeptes du déni. Une poignée de personnes qui détricotent et falsifient mois après mois, année après année, la vérité du génocide des Tutsi du Rwanda sous le qualificatif de « histoire officielle ».
« C’est faux et surtout odieux », observe Richard Gisagara, avocat franco-rwandais de nombreuses victimes du génocide. Il explique : « La Chambre d’appel du TPIR, par un arrêt du 16 juin 2006, a dressé constat judiciaire concluant qu’il était « un fait de notoriété publique qu’entre le 6 avril et le 17 juillet 1994, un génocide a été perpétré au Rwanda contre le groupe ethnique tutsi ». Sous la plume des juges internationaux, point de « double génocide », comme les négationnistes, habiles à reformuler leurs éléments de langage, le répètent depuis lors. »
Un racisme récurrent
Une analyse qu’il détaillait dans une tribune publiée par Jeune Afrique la semaine dernière. Me Richard Gisagara y réclamait l’annulation du colloque : « Le négationnisme est-il intolérable lorsqu’il s’agit du génocide des Arméniens ou de l’extermination des Juifs d’Europe, mais discutable lorsque les auteurs et les victimes sont des Africains ? Peut-on encore accepter ce mépris des faits qui n’est rien d’autre qu’un racisme récurrent ? »
D’autres associations ont effectué la même démarche. La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) a écrit aux deux anciens ministres de la Défense Alain Richard et Gérard Longuet, ainsi qu’au président du Sénat Gérard Larcher. Mario Stasi, président de la LICRA, a écrit à M. Larcher, pour dénoncer un « colloque de la honte » et lui demander « de ne pas accueillir cet événement à bien des égards inopportun et qui risquerait de porter atteinte à l’honneur du Sénat comme à celui des victimes du génocide ».
« Parmi les invités à ce colloque […] figure M. Charles Onana, activiste, auteur d’une thèse universitaire controversée, et qui fait actuellement l’objet de poursuites pénales pour contestation de crimes contre l’humanité pour avoir déclaré en octobre 2019 sur la chaîne LCI: « entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsi » », dénonce M. Stasi.
De leur côté, les associations Ibuka France et la Communauté Rwandaise de France (CRF) s’indignent de la tenue « d’un colloque réunissant des personnalités connues pour leurs prises de position remettant en cause la vérité historique du génocide commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994 » et réclament aussi l’annulation du colloque du 9 mars.
« Il s’agissait bien d’un génocide »
Une pétition circule depuis la fin-février. Signée par une centaine d’intellectuels, elle rappelle le contexte du génocide : « Au Rwanda, entre avril et juillet 1994, les Tutsi furent la cible d’une campagne d’extermination d’une effroyable efficacité : en moins de cent jours, plus d’un million de victimes périrent. […] Il s’agissait bien d’un génocide, c’est-à-dire d’un crime d’Etat planifié de longue date avec sa propagande, ses médias, ses mots d’ordre meurtriers, ses milices redoutables, son financement, sa hiérarchie criminelle. »
Les pétitionnaires ajoutent : « Depuis plus de vingt-cinq ans, la réalité et la gravité du génocide contre les Tutsi ont été amplement documentées au fil des audiences du tribunal de l’ONU, par diverses juridictions nationales ainsi que par de minutieuses enquêtes journalistiques et historiques. Ce « fait de notoriété publique » s’impose à la communauté internationale et, en particulier, à la France. Ajoutons enfin que quatre décisions rendues par des Cours d’assises françaises (toutes confirmées en cassation) ont à leur tour reconnu sans ambiguïté la réalité du génocide des Tutsi du Rwanda « en application d’un plan concerté ». »
Le cabinet du président du Sénat a récusé les arguments de la Licra, soulignant que le Sénat n’était « pas l’organisateur du colloque », et que « les propos qui seront tenus n’engagent en rien ni le Sénat ni la présidence ». Selon le cabinet de Gérard Larcher, « deux anciens ministres de la Défense (Gérard Longuet et Alain Richard) et un ancien ministre des Affaires étrangères (Hubert Védrine) interviendront, ce qui est plutôt un gage de sérieux ».
Embarras au Sénat
Cependant un certain embarras a percé, notamment après réception de la lettre du président du Sénat du Rwanda, M. Augustin Iyamuremye. Celui-ci explique que plusieurs invités « n’ont d’autre but que de faire l’apologie du révisionnisme et du négationnisme du génocide perpétré contre les Tutsi ». En parlant des « anciens dirigeants français qui ont joué un rôle dans des prises de position regrettables dans la politique de la France au Rwanda ayant abouti à des résultats catastrophiques », Augustin Iyamuremye vise évidemment Hubert Védrine. Au moment du génocide, il était le secrétaire général de l’Elysée.
Le président du Sénat du Rwanda termine sa lettre en écrivant : « Je formule le vœu que le Sénat français se dissocie avec ce colloque qui entend donner la parole aux révisionnistes du génocide contre les Tutsi ».
Interrogé par l’AFP samedi, Gérard Longuet a affirmé qu’il n’était pas l’organisateur de ce colloque mais qu’il avait « permis l’obtention d’une salle en raison du rôle joué par des anciens militaires de Turquoise dont je soutiens […] la pertinence de l’engagement il y a plus de 25 ans de cela ».
Le président du Sénat du Rwanda, comme celui de la Licra, s’inquiète de l’agenda caché du colloque. M. Stasi met les pieds dans le plat : ce colloque risque « d’interférer avec les travaux de la commission indépendante d’historiens » [dirigée par Vincent Duclert] nommée par Emmanuel Macron « et dont les conclusions sont espérées avec une légitime attente ».
A un mois de la commémoration française du génocide
Les spécialistes de la région observent que le 7 avril prochain, la France doit organiser la première « journée de commémoration du génocide des Tutsi », dont le principe avait été décidé le 7 avril 2019 par le président Emmanuel Macron. Et que si le colloque au Sénat vient polluer cet agenda à l’initiative des militaires de France Turquoise, ce n’est sans doute pas un hasard. Le président du Sénat du Rwanda propose plutôt de « faciliter un dialogue qui respecte la mémoire des victimes et la dignité des rescapés du génocide perpétré contre les Tutsis ».
Beaucoup de questions se posent sur la personnalité des réels organisateurs de la manifestation à Paris. Le quotidien La Croix a contacté l’assistant du docteur Mukwege. Selon lui, le prix Nobel de la Paix n’a pas accordé son soutien au colloque du 9 mars. Il y aurait vu une manipulation du général Lafourcade, le commandant de l’opération Turquoise.
Les manigances de France Turquoise
Le général Lafourcade a confirmé à La Croix avoir rencontré le docteur Mukwege, mais c’était il y a un an et demi, après sa remise du prix Nobel de la Paix : « Il a voulu nous rencontrer pour qu’on l’aide à monter un colloque sur les crimes commis en RDC, un sujet qu’il venait d’aborder dans son discours de réception du Prix Nobel. Il nous a exprimé sa reconnaissance pour l’opération Turquoise. Ce que nous avons fait, avec son soutien, comme en témoigne la lettre qu’il nous a envoyée pour cette rencontre du 9 mars. »
Derrière l’association France Turquoise et ses manigances, Hubert Védrine semble le véritable instigateur du colloque. Cependant, dans une vidéo postée samedi, Jean-Marie-Vianney Ndagijimana se pose en « inventeur » de l’opération. De son côté le « ministre de l’Information d’un « gouvernement rwandais en exil », M. Chaste Gahunde, s’est vanté de déterminer qui était admis ou pas au colloque.
Quelle cacophonie face aux déclarations de Gérard Larcher sur le « gage de sérieux » qu’apporterait la présence de trois anciens ministres. Au delà de nombreuses interrogations encore pendantes, il se confirme déjà que la stratégie des militaires et politiques français impliqués dans la politique rwandaise entre 1990 et 1994 est celle du déni et du recours à des polémistes parmi les moins recommandables. Dimanche soir, après les révélations de La Croix, le bruit courait que l’Académie des Sciences d’Outre-Mer retirait son parrainage. On en saura davantage lundi.
Jean-François DUPAQUIER
Monsieur DUPAQUIER,
J’aimerais vous demander! Alors plus de huit millions des congolais morts endéans les 25 ans d’après le chantage du génocide, comment le qualifiez-vous? Au Rwanda, le chiffre des mort est de huit cent milles Tutsi.C’est du n’importe quoi!