Pour Thierry Vircoulon, analyste à l’International Crisis Group (ICG), la crise burundaise ne peut se résoudre qu’en remettant sur la table des négociations l’accord d’Arusha, avec l’appui de la communauté international. Un « vrai dialogue » qui devrait réunir gouvernement, opposition, mais aussi les frondeurs du CNDD-FDD.
Depuis la candidature contestée du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat en avril 2015 et sa réélection en juillet de la même année, le Burundi s’enfonce dans la spirale de la violence. 250.000 Burundais ont déjà fui le pays et le régime accentue la répression politique : assassinats ciblés, disparitions, torture… Dans un rapport complet (1) sur la situation critique au Burundi, International Crisis Group (ICG) dénonce un régime qui nourrit « un sentiment de haine sur une base ethnique, et sape l’accord d’Arusha, cadre de la paix dans le pays ». Thierry Vircoulon revient pour Afrikarabia sur les risques qu’encourent le Burundi et les moyens de sortir de l’impasse.
Afrikarabia : L’accord d’Arusha, avec son système de quotas entre Tutsis et Hutus, avait réussi à aplanir les tensions ethniques au Burundi pendant une dizaine d’année. Cette nouvelle crise signe-t-elle le retour des conflits ethniques ?
Thierry Vircoulon : Notre rapport met en évidence une « ethnicisation par le haut » depuis la fin de l’année 2015 et la candidature de Pierre Nkurunziza à sa propre réélection. Au début de la crise, le pouvoir restait assez modéré dans ses propos sur le plan ethnique, mais plus la crise dure plus le pouvoir la présente sous des termes ethniques. Le régime décrit les quartiers rebelles de Bujumbura comme essentiellement peuplés de Tutsis. La propagande du CNDD-FDD est devenue fortement anti-rwandaise et anti-Tutsis. Pour le régime, il s’agit d’un complot organisé par le tandem Buyoya-Kagame, remettant sur le devant de la scène la thèse de la domination tutsie et le massacre de 1972. Tout cela relève d’une instrumentalisation politicienne qui risque de faire revenir les démons ethniques du passé.
Afrikarabia : L’accord d’Arusha avait pourtant permis de tourner la page de l’ethnisme ?
Thierry Vircoulon : Arusha n’avait pas résolu la question ethnique au Burundi, mais l’accord avait au moins dédramatisé les relations ethniques. Ce qui se passe actuellement est en train de les redramatiser.
Afrikarabia : Comment sortir de l’impasse au Burundi ? Dans votre rapport vous préconisez un « vrai dialogue », qu’est-ce que cela vous dire exactement ?
Thierry Vircoulon : A un moment, il va falloir parler du vrai sujet. Le vrai sujet de la crise burundaise, c’est l’avenir de l’accord d’Arusha. Qu’est-ce que l’on en fait ? Est-ce qu’on le garde ?… sachant que le régime veut s’en débarrasser. On peut bien évidemment parler de la question de l’espace politique, de la liberté de la presse… mais le coeur de la crise actuelle demeure la question de l’accord d’Arusha, le conserver ou non. Il falloir que les parties prenantes de la crise répondent à cette question et finissent par trouver une solution. Et la meilleure façon de préserver l’accord d’Arusha, c’est précisément de le rediscuter en conservant ses principes fondamentaux. Cet accord a 16 ans, certains points ne sont peut-être plus d’actualité, d’autres sont à renforcer. Arusha n’est pas une mauvaise chose en soi, mais il ne faut pas considérer que les accords de paix sont intangibles. Ils peuvent être adaptés à la nouvelle situation… mais il ne faut pas oublier que ces accords restent le coeur de la crise au Burundi.
Afrikarabia : Que peut-on attendre de la communauté internationale ?
Thierry Vircoulon : Malheureusement, elle a été extrêmement décevante. Elle n’a pas empêché la dérive du régime. Elle n’a pas fait grand chose lorsque le gouvernement a commencé à remettre en cause l’accord d’Arusha. Mais il est évident que la solution au Burundi ne va pas venir uniquement d’un face à face entre l’opposition et le gouvernement, qui pour le moment est un face à face brutal. La communauté internationale reste donc incontournable. Il n’y a que les internationaux qui peuvent fournir un cadre pour que le gouvernement et l’opposition se parlent… si le gouvernement et l’opposition veulent se parler évidemment.
Afrikarabia : La responsabilité de la crise actuelle au Burundi revient-elle uniquement au parti présidentiel ?
Thierry Vircoulon : Pas uniquement, puisque le parti s’est scindé en deux avec la candidature pour un troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Un front anti-troisième mandat et anti Nkurunziza extrêmement large s’est alors levé allant de la frange modérée du CNDD-FDD, jusqu’à l’opposition la plus radicale. La faute revient au président et à son entourage qui ont décidé de prendre le risque de s’imposer et de passer en force quelques soient les conséquences pour le CNDD-FDD et surtout pour le pays. Nous avons maintenant un régime qui est en rupture avec une partie de son propre camp ; avec la capitale Bujumbura qui est maintenant considérée comme une ville d’opposition dans laquelle le président ne dort pas ; et puis bien sûr avec une partie importante de la population burundaise.
Afrikarabia : Pierre Nkurunziza fait donc face à deux oppositions, une externe et une autre, interne à son propre camp ?
Thierry Vircoulon : Le CNARED, qui est le principal mouvement d’opposition visible actuellement, comporte des membres du CNDD-FDD. Il y a ensuite la plateforme des frondeurs du CNDD-FDD, le PPD Girijambo, qui reste discret pour le moment et qui fait profil bas depuis le début de la crise. Mais cette plateforme est devenue un élément important de l’équation politique actuelle. Il est clair aujourd’hui que toute résolution de la crise burundaise devra inclure les frondeurs. Ils seront sans doute le trait d’union qui permettra de sortir de cette crise.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia
(1) Le rapport « Burundi : anatomie du troisième mandat » est a consulter ici.
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Il n’est pas vrai que les accord d’Arusha sont à la base de la crise Burundaise.
La crise Burundaise est essentiellement causée par la volonté de Nkurunziza de se maintenir au pouvoir malgré la limite à deux mandats présidentiels prévu dans la constitution Burundaise.
Nkurunziza considère que son premier mandat présidentiel ne devrait pas être considéré étant donnée qu’il n’avait pas été nommé par suffrage universelle.
Le fond de la crise Burundaise n’est pas ethnique, la majorité de ceux là qui combattent la decision de Nkurunziza sont Hutu : Ntibantunganya, Cimpaye, Nyangoma… la liste est longue.
La lecture de la crise Burundaise faite par Mr. Vircoulon est totalement erronée ! Cela n’a rien à voir avec ce qui s’est passé en 1972.