La justice congolaise a conclu au « suicide » de l’opposant Chérubin Okende sans vraiment convaincre les proches de l’ancien ministre des Transports. Une mort suspecte qui rejoint les décès problématiques de l’ex-patron des renseignements militaires, Delphin Kahimbi, ou du juge du procès des « 100 jours », Raphaël Yanyi.
« Chérubin Okende s’est suicidé ». La déclaration du procureur général, Firmin Mvonde, le 29 février dernier sur la mort de l’opposant Chérubin Okende, a pris tout le monde de court à Kinshasa. Depuis la découverte, le 13 juillet 2023, du corps sans vie, dans sa voiture, criblé de balles, du porte-parole du parti Ensemble, personne n’avait évoqué une autre hypothèse qu’un très probable « assassinat », comme le déclarait le porte-parole du gouvernement. Les photos qui avaient circulé sur les réseaux sociaux du corps et de l’intérieur du véhicule de l’ancien député laissaient peu de doute sur les circonstances qui avaient conduit à sa mort. La justice s’était même focalisée sur le garde du corps de Chérubin Okende, un temps accusé d’avoir tué son patron. A ce jour, le garde du corps est toujours étrangement incarcéré. Après sept mois d’enquête en pointillé, notamment avec une longue trêve pendant l’élection présidentielle de décembre, les conclusions de l’enquête et l’annonce du suicide de l’opposant ont fait l’effet d’une bombe.
Une seule balle et un agenda
Lors de sa conférence de presse, le procureur général a tenté d’expliquer le virage à 180 degrés de la justice congolaise. Selon l’autopsie, « le corps de Chérubin Okende n’a subi aucun traumatisme. Son corps n’était pas criblé de balles, mais plutôt d’une seule balle tirée par lui-même ». Pour valider la thèse du suicide, le procureur a indiqué qu’une perquisition avait été effectuée dans le bureau privé de Chérubin Okende, « en présence de son épouse », et « qu’un agenda dans lequel Chérubin Okende aurait écrit 72 heures avant sa mort : « je suis au bout du rouleau », avait été saisi lors de cette opération ». Les autres pages de l’agenda ont été mystérieusement arrachées.
Pas de rendez-vous à la Cour constitutionnelle
Avant de retrouver le corps sans vie de Chérubin Okende, son parti, Ensemble pour la République de l’opposant Moïse Katumbi, avait alerté, la veille de sa disparition, que son porte-parole avait rendez-vous à la Cour constitutionnelle. Pour ses proches, cette convocation suivie de son assassinat, étayaient la thèse d’un « traquenard » mise en place pour éliminer l’opposant et d’un « crime politique ». Sur ce point, le rapport d’enquête dévoilé par le procureur a révélé que le porte-parole d’Ensemble ne se trouvait pas à la Cour constitutionnelle à 16 heures, la veille de sa mort. Son portable ayant borné bien plus loin, sur l’avenue Sendwe à Kalamu.
Un rapport d’autopsie jamais communiqué
« Ridicules », « ahurissantes », « aberrantes »… Les proches de Chérubin Okende n’ont pas de mots assez durs pour qualifier les conclusions de l’enquête par le parquet de Kinshasa. Car le hic, c’est que la justice n’a jamais communiqué le rapport d’autopsie à la famille ou à ses avocats. Pourtant des experts congolais, sud-africains et belges ont bien participé à l’autopsie. « La version sidérante du parquet ne repose sur aucun élément procédural. Seul le rapport d’autopsie relate les causes et les circonstances probables de la mort » a dénoncé Hervé Diakiese, le porte-parole d’Ensemble. Les avocats de la famille Okende, demandent donc la communication des procès-verbaux du dossier et du rapport d’autopsie. L’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj) sollicite même « une contre-expertise pour la manifestation de la vérité ».
Affaires sensibles
La mort violente de Chérubin Okende n’est pas la seule affaire suspecte sous la présidence de Félix Tshisekedi. On se souvient de la mort brutale de l’ancien patron du renseignement militaire, Delphin Kahimbi, en février 2020. Un suicide pour la version officielle. Un probable empoisonnement pour ses proches – voir notre article. Avant sa disparition, on accusait Kahimbi d’avoir mis sur écoute le président Félix Tshisekedi et certains de ses collaborateurs. En mai 2020, le juge Raphaël Yanyi, à la tête du méga-procès anti-corruption du « programme des 100 jours » décède lui aussi brutalement. On parle d’abord d’une crise cardiaque, puis d’empoisonnement avant de découvrir que le magistrat avait reçu « des coups à un endroit très sensible du crâne » – voir notre article. Dans chacune de ses affaires, comme dans la mort de Chérubin Okende, la justice a multiplié les versions sans rendre public les rapports d’expertise.
Le journaliste Stanis Bujakera toujours en prison
La mort de Chérubin Okende a également mis sous pression la presse congolaise. Stanis Bujakera, le journaliste le plus suivi sur les réseaux sociaux, directeur adjoint du site Actualité.cd et correspondant de Reuters en RDC, se trouve depuis septembre 2023 derrière les barreaux de la tristement célèbre prison de Makala, à Kinshasa. Son forfait : avoir divulgué une note des renseignements congolais (ANR) évoquant le rôle joué par les services de renseignements militaires dans l’assassinat de Chérubin Okende. Le plus étonnant, c’est que Stanis Bujakera n’a pas signé l’article publié par Jeune Afrique – voir notre article. Les autorités congolaises ont également démenti l’authenticité de la note de l’ANR. Mais depuis 5 mois, malgré les appels à sa libération, toutes les demandes de mise en liberté provisoire ont été refusées.
Une « justice malade »
Avec l’annonce du « suicide » de Chérubin Okende et l’indignation suscitée, le procureur général de Kinshasa n’a pas hésité à remettre un coup de pression sur les journalistes congolais, au cas où le message de l’incarcération de Stanis Bujakera n’aurait pas été reçu cinq sur cinq. « Il est toujours mieux de garder sa langue que de livrer au public les informations qui sont en fait de la désinformation, a fustigé Firmin Mvonde. Et c’est là où le ministère public peut trouver que vous avez franchi les bornes tolérables de la légalité et cela devient un faux bruit et nous pouvons vous mettre la main dessus ». Dans une conférence de presse, le 22 février dernier, Félix Tshisekedi avait avoué, en référence à l’affaire Stanis Bujakera, que la justice congolaise était « malade ». Visiblement la liberté de la presse également.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Bonjour, je suis Christophe Muzaliwa Kilozo, résidant à Bujumbura, je voudrais savoir comment pouvons nous faire pour parvenir à devenir l’un parmi vos correspondants,
Intéressé par votre site, avec l’espoir de vous lire très prochainement
Comment est-on passé de l’assassinat visible de tous à ce décret de suicide qui ne convainc personne ?
La Justice malade devrait être très embarrassée de vendre sa version d’un meurtre commis non autour du pouvoir en place, elle n’arrivait même pas l’en imputer un autre. Elle a ainsi dû monter un scénario à dormir debout : le défunt se serait suicidé. Oui gamberger pendant 7 longs mois devenait intenable, fort suspect qu’on a voulu vite rendre plus propre le chantier du second mandat.
Malheureusement en face la famille, les proches, leurs avocats et la quasi-totalité des Congolais, ont vite jugé pour ce qu’elles sont les funestes conclusions d’enquête du satané PG devenu Roi du Congo/Zaire avec droit de vie et de mort interdisant tout commentaire, encore plus ahurissantes et invraisemblables d’autant que la Justice n’a jamais eu le courage de leur communiquer ni le déroulement des enquêtes ni le rapport d’autopsie.
Il est plus que temps qu’on ait l’avis des experts, (une belge, un sud-africain, la Monusco et des Congolais) pour en finir avec ce cauchemar sans nom.