Les propos polémiques du porte-parole de l’armée congolaise, Sylvain Ekenge, mettant en cause les femmes tutsies, ont ravivés le débat sur les « discours de haine » au Congo. Une ostracisation dangereuse alors que la rébellion de l’AFC/M23 entend justement défendre la communauté rwandophone congolaise.

Difficile de croire à un simple dérapage lorsque le porte-parole de l’armée, en direct à la télévision nationale, les yeux rivés sur ses notes, se lance dans une longue diatribe contre la « stratégie d’infiltration » du Rwanda, et des Tutsis, alors que le conflit avec les rebelles du M23 dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu bat son plein. « Lorsque vous épousez une femme tutsie, il faut faire attention ! Lorsque vous êtes responsable, comme grand chef coutumier, on vous donne une femme, mais vous allez recevoir chez vous un membre de sa famille qu’on présentera comme un cousin ou un neveu, alors que c’est la personne qui viendra faire des enfants avec votre épouse à la maison, et on vous dira que les enfants naissent Tutsis parce que la race tutsie est supérieure à leurs ethnies ». Selon le général, régulièrement relancé par le journaliste de l’émission spéciale de la RTNC, il s’agit de « stratagèmes pour porter un coup fatal à notre pays », estimant qu’aujourd’hui, la « perfidie » consiste à épouser une femme tutsie.
Une rhétorique qui renvoie au génocide de 1994
L’intervention du général Ekenge à la télévision congolaise a immédiatement provoqué un flot d’indignation sur les réseaux sociaux, jusqu’à faire réagir le ministre des Affaires étrangères belge. Maxime Prévot s’est dit « extrêmement choqué » par des propos « ciblant la communauté tutsie » et « indignes » d’un représentant officiel. D’autant que cette rhétorique anti-tutsie ressemble à s’y méprendre aux « 10 commandements des Hutus », qui a servi de petit bréviaire aux génocidaires des Tutsis du Rwanda en 1994, et publié dès 1990 dans le journal « Kangura ». Devant le tollé provoqué, le chef d’état-major de l’armée congolaise a décidé de suspendre le général Ekenge après des propos « contraires aux valeurs républicaines (…) et qui ne reflètent ni la position de la RDC, ni celle du président de la République, ni du gouvernement ».
La « lutte contre les discours de haine » bafouée
Le mouvement citoyen Lucha, a dénoncé un « discours de haine à l’encontre d’une partie des citoyens congolais », précisant également qu’il « sert l’agresseur qui prétend, à tort, venir sauver les Tutsis en tuant d’autres Congolais ». Une allusion aux revendications des rebelles de l’AFC/M23 qui affirment vouloir défendre une communauté ostracisée. Le porte-parole de la rébellion, Lawrence Kanyuka, s’est d’ailleurs indigné de cet « instrument de propagande génocidaire des Interahamwe/FDLR (…) à l’instar de Radio Mille Collines (le média du génocide des Tutsis en 1994, ndlr) ». Pour Michael Tshibangu, conseiller de l’opposant congolais Moïse Katumbi, le général Ekenge a « marqué un but contre son propre camp ». En effet, la lutte contre les « discours de haine » au Congo fait partie des accords de paix signés à Washington entre la RDC et le Rwanda. Le président Félix Tshisekedi avait même déclaré, en 2024, rejeté « tout amalgame entre communautés tutsies congolaises et groupes armés étrangers (…) et combattre un ennemi armé, pas une communauté ». Visiblement, le général Ekenge n’avait pas consulté l’accord de paix de Washington, ni écouté les déclarations du président Tshisekedi.
Les « espions rwandais » et les « cafards »
La stigmatisation des Rwandophones n’est pas nouvelle en RDC. 30 ans de rébellions sans fin, appuyés par le Rwanda voisin, y ont largement contribué. Mais elle est toujours restée sous-jacente à l’extrême polarisation de la vie politique congolaise. Lorsque Joseph Kabila tenait le pays d’une main de fer, bon nombre de ses opposants qualifiaient le président de « Rwandais ». Aujourd’hui, des hommes politiques congolais, comme Justin Bitakwira ont fait de la communauté tutsie, une ennemie du Congo. Le député a été sanctionné par l’Union européenne pour ses incitations « à la violence et à la discrimination de la communauté banyamulenge ». Il déclarait récemment que « les Tutsis congolais ne sont pas des Congolais », mais des « espions rwandais » et appelait à un « nettoyage » des officiers tutsis dans l’armée. Un certain Jean-Claude Mubenga a multiplié les déclarations anti-Tutsis, les qualifiant de « cafards », vocable identique à celui utilisé pendant le génocide de 1994. Il s’est récemment affiché en photo aux côtés de Félix Tshisekedi.
Qui tenait la plume d’Ekenge ?
Pendant la dernière campagne électorale, des candidats de l’opposition, et plus particulièrement Moïse Katumbi, se sont vus confiés des nationalités étrangères, rwandaise en l’occurrence, avec des discours pilotés par les personnalités de la majorité présidentielle, comme Jean-Pierre Bemba. Les tweets du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, estampillés « poison rwandais », pour qualifier les informations censées provenir de Kigali, sont légion. Le tout, est désormais de savoir si l’électrochoc suscité par les déclarations de Sylvain Ekenge permettra d’inverser la vapeur et d’apaiser les tensions. Pas si sûr. Les commentaires soutenant la sortie médiatique du porte-parole de l’armée sont également très nombreux sur les réseaux sociaux. Le président Félix Tshisekedi serait bien inspiré de se saisir de cette séquence pour clarifier les choses. Le général Ekenge lisait clairement un texte sur le plateau de la RNTC. Qui tenait la plume ? Sûrement pas le seul porte-parole de l’armée congolaise.
Christophe Rigaud – Afrikarabia


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