Le divorce est désormais consommé entre les partisans du chef militaire du M23, Sultani Makenga et le président de la rébellion, Jean-Marie Runiga. Le responsable politique du M23 a en effet été destitué aujourd’hui et aurait rejoint Bosco Ntaganda dans le parc des Virunga. Selon un porte-parole du M23, « les vrais CNDP reprennent la main sur le mouvement« . Explications.
En début de semaine, de violents affrontements ont opposé deux factions de la rébellion M23 à Rutshuru, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Selon le gouvernement congolais, les combats aurait fait 17 morts. En cause les dissensions entre les proches de Sultani Makenga, commandant militaire du M23 et Jean-Marie Runiga, son représentant politique. Ce matin, la rébellion a destitué Jean-Marie Runiga de son poste de président du M23 (voir le communiqué en français). Les événements de Rutshuru ne constituent que le point d’orgue de divergences plus anciennes entre les deux courants de la rébellion congolaise : pro-Makenga et pro-Ntaganda.
L’ombre de Laurent Nkunda
Depuis la création du M23 en avril 2012, deux courants se sont toujours fait face. On trouve d’abord, les CNDP « historiques« , fidèles à Laurent Nkunda, aujourd’hui détenu en résidence surveillée au Rwanda depuis janvier 2009. Ce courant, qui est à l’origine du M23, est tenu par le chef militaire de la rébellion, le général Sultani Makenga. Dans son sillage : le gros de la troupe des ex-CNDP. Des militaires, comme Yusuf Mboneza, Claude Micho ou Bahati Mulomba, mais aussi des politiques, comme le député congolais Roger Lumbala, qui a rejoint récemment la rébellion.
Le « problème » Ntaganda
L’autre courant est composé de Bosco Ntaganda, l’ancien bras droit de Laurent Nkunda, qui a repris en main le CNDP après l’arrestation de son leader par Kigali. Pour les pro-Nkunda, Ntaganda a trahi « la cause » et son chef Nkunda, pour rejoindre « l’ennemi » : le camp du président Joseph Kabila. Bosco Ntaganda a ensuite été intégré à l’armée régulière congolaise au poste de général, avec une partie de ses hommes. Pour les pro-Nkunda, qui se retrouvent aujourd’hui autour de Sultani Makenga, Ntaganda n’a jamais fait partie du M23, même si la situation est plus complexe sur le terrain. La création du M23 en avril a notamment permis de « protéger » Bosco d’une possible arrestation par Kinshasa. Dans le sillage de Ntaganda, gravitent des militaires comme Baudouin Ngaruye, Innocent Zimurinda, Séraphin Mirindi ou Innocent Kabundi. Jean-Marie Runiga, le chef politique du M23 fait désormais partie du clan Ntaganda, depuis sa destitution aujourd’hui. Runiga aurait quitté Bunagana pour rejoindre les hommes de Ntangada dans le parc des Virunga.
« Runiga travaillait avec Bosco«
Selon Jean-Paul Epenge, le réprésentant du M23 en Europe, cette scission n’est pas une surprise. « Jean-Marie Runiga été placé à la tête de l’aile politique par consensus« . « A la création de la rébellion en avril, nous avons essayé de représenter toutes les sensibilités au sein de notre mouvement« , nous explique ce membre du M23, « avec un seul commandement militaire, en la personne de Sultani Makenga« . Selon Jean-Paul Epenge, « petit à petit, les proches de Makenga se sont rendus compte que Jean-Marie Runiga travaillait de plus en plus avec Bosco Ntangada. Au lieu d’unir notre mouvement, il a creusé un fossé entre nous. » Le point de désaccord entre les deux courants se situerait au niveau des objectifs de la rébellion. Pour le responsable du M23 en Europe, « Runiga voulait renverser Joseph Kabila, alors que nous souhaitions simplement renégocier les accords du 23 mars 2009« . Sur ce point, on peut noter que ces explications semblent « de circonstance » : le but étant de décrédibiliser au maximum Jean-Marie Runiga et Bosco Ntaganda aux yeux de la communauté internationale. Le message délivré par Jean-Paul Epenge étant clair : les pro-Makenga ne voudraient qu’une simple « redynamisation des accords du 23 mars« , alors que les pro-Ntaganda ne souhaiteraient que la chute du régime de Kinshasa. La réalité est bien évidemment moins « binaire« .
Runiga chez Ntaganda
Concernant les cause de la destitution de Jean-Marie Runiga et les combats entre factions à Rutshuru, Jean-Paul Epenge explique des différents sur la gestion financière du M23, mais aussi la « chasse aux sorcières » menée par Runiga pour placer des hommes proches de Ntaganda. Ce membre du M23 évoque également « des détournements de fonds destinés à Bosco« . A la suite de ces « dysfonctionnements » (9 points auraient été reprochés à Jean-Marie Runiga), le M23 souhaitait qu’il démissionne de la présidence du mouvement. Mais Runiga refuse et la situation s’envenime. « Baudouin Ngaruye est venu le chercher à Bunagana et ils sont partis » explique Jean-Paul Epenge. « Mais ils sont relativement coincés, nous contrôlons tous les axes » précise t-il, « Runiga et Baudouin ne peuvent pas descendre vers Goma, il y a les FARDC, nous contrôlons la situation vers la frontière rwandaise et à Bunagana. Ce matin à 4h30, on m’a prévenu qu’ils sont dans le parc des Virunga et que certains militaires commençaient à les lâcher et à revenir« .
Il y a bien clairement une crise de leadership au sein du M23, à la suite de la destitution de Jean-Marie Runiga. Un nouveau président politique du mouvement sera nommé très prochainement, vraisemblablement samedi lors d’une réunion du congrès du M23. En attendant, Sultani Makenga fait office de président par intérim de la rébellion. Selon Jean-Paul Epenge, « les vrais CNDP ont repris la main » sur le M23.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia