Quatre mois après la réélection de Félix Tshisekedi, le nouveau gouvernement se fait toujours attendre. Profil du nouveau Premier ministre, ambitions de ses alliés, second souffle pour un deuxième mandat… Le chercheur Yvon Muya* analyse la situation politique avant la nomination du futur gouvernement.
Afrikarabia : Félix Tshisekedi doit trouver le bon profil pour son Premier ministre et contenter ses multiples partenaires au sein du futur gouvernement. Quels sont les paramètres dont Félix Tshisekedi doit tenir compte ?
Yvon Muya : Pour répondre à cette question, il faut revenir sur le premier quinquennat de Félix Tshisekedi. A son arrivée au pouvoir, le nouveau président a eu beaucoup de mal à nommer son Premier ministre dans un contexte de cohabitation avec le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila qui avait la majorité écrasante au Parlement. Aujourd’hui, c’est Félix Tshisekedi qui possède une majorité hégémonique à l’Assemblée et qui a tous les leviers pour faire ce que bon lui semble. Concernant le nouveau Premier ministre, Félix Tshisekedi n’a pas de pression. Il ne cherche pas la réélection. Son dernier Premier ministre, Sama Lukonde, devait avoir un profil « docile » pour favoriser sa réélection, en écartant des personnalités comme Moïse Katumbi. Pour son second mandat, il n’a pas les mêmes critères. Il cherche un Premier ministre compatible avec la vision qu’il a partagé avec les Congolais pendant la campagne électorale. Je vois plutôt un profil technocrate et économique pour un quinquennat qui se doit de répondre aux nombreuses aspirations des Congolais.
Afrikarabia : Le nom de « l’informateur » chargé d’identifier la majorité parlementaire afin de former le gouvernement était important ?
Yvon Muya : Le secrétaire général du parti présidentiel (UDPS), Augustin Kabuya, n’était pas la personnalité la plus attendue à ce poste. En lui confiant cette mission, c’est une façon pour Félix Tshisekedi de marquer son autorité et de dire à la classe politique qu’il a toutes les cartes en main. Et cette attitude pourrait se refléter dans la composition du futur gouvernement. Pour montrer qu’il reste le patron, Félix Tshisekedi a d’ailleurs presque confirmé, pendant sa conférence de presse, le maintien du ministre de la Fonction publique, Jean-Pierre Lihau, au sein du gouvernement.
Afrikarabia : Le nom de Jean-Pierre Lihau est d’ailleurs souvent cité pour occuper la Primature. Dans le choix de son Premier ministre et de son gouvernement, Félix Tshisekedi devra-t-il tenir compte de l’équilibre entre les différentes provinces ?
Yvon Muya : C’est vrai que l’on doit respecter les équilibres géographiques au Congo. Le choix de Sama Lukonde, issu du Katanga, avant les élections, était un choix stratégique pour contrer l’influence de Moïse Katumbi dans cette province. Je ne pense pas qu’il choisisse un Premier ministre originaire de sa province. Il y aurait trop de critiques. Le président pourrait être tenté d’aller chercher une personnalité de l’Est du pays. Certains pensent notamment à l’ancien Premier ministre Matata Ponyo. En tout cas, ce sera une personnalité loin de sa base.
Afrikarabia : Pour son deuxième mandat, Félix Tshisekedi doit trouver un second souffle après 5 années chaotiques et une cohabitation difficile avec le camp Kabila ?
Yvon Muya : Oui, on a beaucoup entendu pendant ce quinquennat que Félix Tshisekedi devait partager son bilan avec le FCC de Joseph Kabila. Cela veut dire que le vrai bilan de Félix Tshisekedi viendra de son second mandat. Je pense qu’il aura vraiment à coeur de faire avancer les réformes, les grands projets comme celui des « 145 territoires », et de laisser un bilan positif. Ce quinquennat sera sans conteste très différent du premier, qui était phagocyté par le camp Kabila.
Afrikarabia : Au moment de la composition du gouvernement, plusieurs personnalités ont de grandes ambitions. On pense à Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba, mais aussi certains ministres ou les présidents de l’Assemblée nationale ou du Sénat ? Le choix de Vital Kamerhe de jeter son dévolu sur la présidence de l’Assemblée nationale est stratégique par rapport à la prochaine présidentielle de 2028 ?
Yvon Muya : Vital Kamerhe est intelligent et il sait calculer. Il souhaite reprendre un poste qu’il connait très bien, et où il a fait ses premières armes en politique. Ce poste devrait le placer au-dessus de la mêlée, à une place d’observateur. Il apparaîtra comme l’homme de l’équilibre, à l’écoute de toutes les tendances. Ce positionnement lui permettra de s’éloigner du pouvoir exécutif tout en restant à un poste stratégique.
Afrikarabia : Au perchoir de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe pourra également contrer toute tentative de modification de la Constitution qui viserait à prolonger le mandat de Félix Tshisekedi ?
Yvon Muya : On verra d’abord si ce poste lui est réellement attribué. Mais c’est vrai que Vital Kamerhe avait passé un accord avec Félix Tshisekedi à Nairobi, avant les élections de 2018, pour postuler à la présidentielle après Tshisekedi. Avec ce poste de président de l’Assemblée nationale, Kamerhe sera aux premières loges pour gérer l’après-Tshisekedi. Le perchoir va aussi lui permettre de prendre de la distance, à une fonction moins exposée aux critiques que celui de ministre de l’Economie.
Afrikarabia : L’avenir semble un peu plus sombre pour Jean-Pierre Bemba, avec des marges de manoeuvre plus faibles ?
Yvon Muya : C’est le cacique le plus perdant des élections de décembre. Son parti, le Mouvement de libération du Congo (MLC), n’a récolté qu’une vingtaine de sièges aux élections législatives. On a également vu qu’après les derniers arrêts de la Cour constitutionnelle, un mouvement comme celui de Sama Lukonde a pris le dessus sur l’UNC de Kamerhe et l’AFDC-A de Bahati, l’actuel président du Sénat. Ce qui limite grandement les marges de manoeuvre de Jean-Pierre Bemba. Le patron du MLC possède tout de même une certaine aura et une histoire. Il s’est également beaucoup battu pour la réélection de Félix Tshisekedi pendant la campagne et cela peut le sauver. Mais son mouvement risque de voir une partie de ses postes ministériels diminuer. Va-t-il rester au ministère de la Défense ? C’est possible. Mais compte tenu des résultats des élections, il part très affaibli.
Afrikarabia : Il y a un autre perdant dans ces élections, notamment après les arrêts de la Cour constitutionnelle, c’est le président du Sénat, Modeste Bahati, qui a aussi de grandes ambitions ?
Yvon Muya : C’est vrai, mais c’est quelqu’un qui sait parfaitement naviguer en eaux troubles, et il s’est souvent retrouvé à des postes pour lesquels il n’était pas attendu. Il peut jouer à tout moment les trouble-fête. Les arrêts de la Cour constitutionnelle ont fortement diminué son influence. Est-ce que cela a été fait exprès ? Rien n’est à exclure.
Afrikarabia : Félix Tshisekedi et ses alliés contrôlent près de 90% de l’Assemblée nationale. N’est-ce pas un risque de voir ces députés finir par se tourner vers l’opposition, sachant qu’il s’agit du dernier mandat de Félix Tshisekedi ?
Yvon Muya : C’est dans la tradition politique congolaise de tourner casaque. Pourquoi cela devrait faire exception ? Félix Tshisekedi ne pourra pas contenter tous ses partenaires. Il faudra surveiller l’attitude des leaders politiques déçus. Ce sont ces petits groupes politiques qui pourront changer le sens du vent pour les présidentiables de 2028.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia
* Yvon Muya est enseignant, chercheur associé à la Chaire sur les aspirations populaires et mouvements politiques en Afrique francophone à l’Université d’Ottawa.
On réfléchit comme un Occidental pour présenter une situation ds un monde différent ! Vous faites croire qu’il question des choix tout en ignorant les textes qui déterminent de la direction et des choix !