Un documentaire retrace l’histoire d’une radio associative du Bandundu qui lutte pour survivre malgré les pressions et le manque de ressources en pleine crise politique. Un film diffusé le samedi 25 mai à 21h sur Public Sénat.

Loin du bruit et de la fureur de Kinshasa et de ses tensions politiques ; loin de l’insécurité du Nord-Kivu et de ses groupes armés, Philippe Ayme a posé sa caméra dans la ville d’Idiofa, au coeur de la République démocratique du Congo (RDC). Dans cette province du Bandundu, à deux jours de route de la capitale, une petite radio associative, Radio Nsemo (“lumière” en kikongo), lutte pour sa survie. Avec ses maigres moyens, la station doit faire appel à la générosité des paysans de la région pour lui fournir l’huile de palme nécessaire au générateur qui alimente le studio et l’émetteur.
« Un vrai rôle de service public »
Dans ce huis clos où la radio est le principal personnage, ce documentaire nous plonge dans le Congo profond, loin des clichés et souvent ignoré par les médias internationaux. La caméra nous entraîne dans le quotidien du personnel de la radio et de ses auditeurs, en proie à la précarité et condamnés à la débrouille. Dans un continent où la radio a pu produire le pire, comme pendant le génocide rwandais avec la tristement célèbre Radio des Mille Collines, ici, Radio Nsemo nous montre le meilleur de ce média toujours très prisé en Afrique. A Idiofa, sans radio, pas d’informations, mais surtout, pas de lien social entre les Congolais. « Cette radio associative joue un vrai rôle de service public pour les auditeurs, alors que l’Etat est absent partout. Radio Nsemo, c’est un peu la maison de tout le monde » explique le réalisateur Philippe Ayme.
Radio Nsemo porte également haut et fort la parole des femmes, qui peinent au Congo, comme ailleurs en Afrique, à se faire une place dans la société. ”Nos conjoints pensent que le femme n’a aucune importance. Mais avec 500 Francs congolais (30 centimes d’euros) une femme peut nourrir sa famille, pas un homme !” explique la présidente de l’Union femmes debout pour le développement au micro, déclenchant sourires et gêne des auditeurs masculins.
Un lieu de débat en pleine crise politique
Le documentaire de Philippe Ayme déroule également un autre fil que celui du combat de Radio Nsemo pour sa survie : celui de la crise politique congolaise, où les élections sont sans cesse repoussées depuis 2016, permettant au président Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir en dehors de tout cadre constitutionnel. Alors que la tension politique vire souvent à l’affrontement à Kinshasa, avec des manifestations à répétition et une répression sanglante, partisans et opposants du président Kabila déroulent calmement leurs arguments au micro de Radio Nsemo. La polémique sur l’utilisation de la “machine à voter” pour les élections de décembre s’invite dans le débat : “une innovation” pour la majorité présidentielle, “une machine à voler” pour truquer le scrutin selon l’opposition.
Le film de Philippe Ayme porte avec délicatesse la parole des Congolais, englués dans la précarité et le sous-développement depuis des dizaines d’années. Une parole qui se transforme aussi en colère contre un pouvoir qui ne réussit pas à sortir le pays de la pauvreté. “Les gens disent que notre Congo est béni avec toutes ses richesses. Mais la population congolaise est très pauvre. Alors quels remèdes pour sortir de cette situation ? “ s’interroge l’animatrice de l’émission “Débat” sur Radio Nsemo. “Nos dirigeants n’ont pas la volonté politique” se désole un opposant politique. “Leur gouvernance est mauvaise. Le remède c’est d’aller aux élections pour changer de dirigeants”.
Une alternance politique de façade
C’est normalement ce qui aurait dû se passer le 30 décembre 2018 avec les élections présidentielle et législatives, déjà reportées par deux fois. Mais rien ne s’est déroulé comme prévu. Le président Kabila, qui a finalement renoncé à se présenter, n’a pas pu imposer son “dauphin”, le très impopulaire Emmanuel Ramazani Shadary. Et dans un tour de passe-passe dont seule la RDC est capable, c’est l’opposant Félix Tshisekedi qui a été déclaré vainqueur, contre toute attente.
Selon des fuites de données de la Commission électorale et les estimations de l’Eglise catholique, qui avait déployé 40.000 observateurs, c’est l’opposant Martin Fayulu qui aurait remporté l’élection avec plus de 60% des voix. On soupçonne le président Kabila d’avoir négocié la victoire de Tshisekedi contre un partage du pouvoir qui laisse une large place au FCC, sa coalition politique. Joseph Kabila n’est officiellement plus président, mais il garde la haute main sur l’Assemblée nationale, le Sénat, les Assemblées provinciales… et l’armée qu’il a remanié juste avant le scrutin.
Le documentaire se termine sur cette alternance politique en trompe l’oeil et cette cohabitation inédite en Afrique… pleine d’incertitudes pour l’avenir de la République démocratique du Congo. Un sujet qui ne manquera pas d’être débattu sur Radio Nsemo, qui continue toujours à émettre, malgré les difficultés.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Radio Congo. Un documentaire de Philippe Ayme. Une production : Dryades Films, Public Sénat, Lyon Capitale TV et Atelier Atlas production. Diffusion dans “Un monde en docs” sur Public Sénat (France), Samedi 25 mai 2019 à 21h.