Le président Joseph Kabila se maintient au pouvoir alors que son dernier mandat a expiré depuis bientôt deux ans. Une série de stratagèmes lui ont permis de faire glisser le calendrier électoral, provoquant l’une des crises politiques les plus graves du pays.
Pour s’accrocher au pouvoir, les autocrates d’Afrique centrale (et d’ailleurs) choisissent majoritairement de tripatouiller les Constitutions ou de bourrer les urnes (régulièrement les deux), le tout assaisonné d’une dose plus ou moins forte de répression. Au Congo-Brazzaville, au Cameroun, au Rwanda ou au Burundi, la méthode continue de porter ses fruits. Denis Sassou-Nguesso est président depuis 28 ans, Paul Biya depuis 35 ans, Paul Kagame depuis 2000 et Pierre Nkurunziza depuis 2005. En République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila, en poste depuis 2001, a ajouté une nouvelle stratégie à celles de ses voisins pour garder le pouvoir : ne pas organiser les élections, ou plutôt, faire « glisser » le calendrier électoral. Une méthode visiblement efficace puisque le chef de l’Etat congolais est toujours au pouvoir aujourd’hui, alors que son dernier mandat s’est achevé en décembre 2016.
La stratégie du glissement
En 2013 et 2014, alors que la fin de son ultime mandat approche, Joseph Kabila a tout d’abord cherché à faire modifier la Constitution, qui lui interdisait de se représenter à la présidentielle de 2016. La technique est somme toute classique. Mais le président congolais, mal réélu en 2011 après des élections chaotiques, n’a pas réussi à convaincre. Et devant la levée de bouclier de l’opposition, mais aussi au sein de son propre camp, Joseph Kabila décide de reculer. C’est alors que l’idée de rester au pouvoir en repoussant la date des élections prend forme. En 2015, un texte tente de conditionner la tenue des élections avec un recensement complet de la population. Un projet louable, d’autant que le dernier comptage de la population congolaise datait de… 1984 ! Mais l’opposition a tout de suite compris que l’enregistrement de la population prendrait plusieurs mois, voir plusieurs années, au vue des infrastructures déliquescentes du pays.
Deux dialogues pour rien
Mi-janvier 2015, après quatre jours de fortes manifestations et d’une répression sanglante, le projet est retiré. Au moins une cinquantaine de morts sont à déplorer. Alors que de nombreux observateurs craignent que le président congolais ne cherche à s’accrocher au pouvoir, en mai 2016, une seconde alerte inquiète l’opposition. La Cour constitutionnelle autorise Joseph Kabila à se maintenir si l’élection n’est pas organisée avant le 20 décembre 2016. Avec cette décision, plus la date de la présidentielle approche, plus la situation se tend. Les 19 et 20 septembre, de nouvelles manifestations pour réclamer des élections dans les délais sont réprimées dans la violence. Joseph Kabila sort alors de sa manche l’arme secrète des présidents Congolais pour justifier leur maintien au pouvoir : le dialogue national. Un premier round, sous l’égide de l’Union africaine, peine à se mettre en place puisque les principaux ténors de l’opposition, à l’exception de Vital Kamerhe boudent la réunion.
Début octobre, comme redouté, le président Kabila annonce le report du scrutin. Le pouvoir explique qu’il faut « mieux préparer le pays à ces échéances », et que 10 millions d’électeurs ne sont pas inscrits sur les listes. Après l’échec du premier dialogue, une seconde négociation est ouverte avec la médiation de l’Eglise catholique (Cenco) et la présence des principaux partis d’opposition. L’accord signé in-extremis fin décembre, permet au président Kabila de rester en poste jusqu’à fin 2017, mais il doit organiser des élections d’ici là et nommer un Premier ministre d’opposition. Joseph Kabila foulera l’accord de la Saint-Sylvestre du pied, puisqu’il ne nommera pas le Premier ministre proposé par l’opposition et n’organisera pas les élections fin 2017.
Un conflit qui tombe à pic
Pour justifier le second report de la présidentielle, les autorités congolaises prennent pour prétexte l’arrivée du conflit dans les Kasaï qui a empêché d’enregistrer tous les électeurs de ces provinces. Plusieurs enquêtes internationales (ONU, FIDH) ont dénoncé l’instrumentalisation des violences dans les Kasaï par le pouvoir, qui a réprimé de manière excessive et a alimenté le conflit en créant un groupe armé paramilitaire à sa solde – voir notre article. Le 5 novembre 2017, sous pression, la Commission électorale annonce enfin une nouvelle date pour la tenue des élections générales : ce sera le 23 décembre 2018. Après deux ans de pouvoir « hors-mandat », Joseph Kabila cristallise alors toutes les tensions. Les 31décembre 2017, 21 janvier et 24 février 2018, l’Eglise catholique, par l’intermédiaire du Comité laïc de coordination (CLC) organisent trois marches pacifiques à l’issue de messes du dimanche. Les marches sont encore une fois réprimées très violemment. La police intervient jusque dans les églises et le bilan d’une quinzaine de morts n’est qu’une estimation.
Les silences de Kabila
S’en suit alors un interminable feuilleton sur l’avenir politique de Joseph Kabila, censé quitter le pouvoir fin 2018. A chaque prise de parole (et elles seront nombreuses) le président congolais botte à chaque fois en touche, refusant d’indiquer s’il quittait ou non le pouvoir. Sous pression internationale et alors que la crise politique est à son paroxysme, Joseph Kabila annonce enfin, juste avant la clôture du dépôt des candidatures pour la présidentielle, qu’il ne sera pas candidat et désigne son « dauphin » en la personne d’Emmanuel Ramazani Shadary, le patron du parti présidentiel (PPRD). Avec le nom du possible successeur voulu par Joseph Kabila, on pensait la RDC désormais sur la route des élections. Mais aujourd’hui, à quatre mois du scrutin, plusieurs inquiétudes se profilent à l’horizon.
Vers un troisième glissement ?
On se demande en effet si Joseph Kabila a vraiment l’intention de laisser son fauteuil et souhaite organiser les élections. Car finalement, un nouveau report permettrait à l’actuel chef de l’Etat de continuer encore à rester en place, comme le permet la Cour constitutionnelle. Plusieurs arguments et éléments de langage se mettent en place dans l’hypothèse de ce scénario, et notamment auprès de la Commission électorale (Ceni), pour préparer le terrain à un possible troisième glissement du calendrier, au cas où le président déciderait que les conditions de sa succession ne seraient pas « optimales ». Deux dossiers, défendus par l’opposition, pourraient justifier le report du scrutin : l’utilisation des très contestés machines à voter et un fichier électoral rempli de potentiels électeurs fictifs. Le patron de la Ceni a prévenu : « sans machine à voter, les élections ne pourront pas avoir lieu en décembre ». Et si le fichier électoral venait à être une nouvelle fois révisé, les délais pourraient s’allonger. Ironie du sort, ce pourrait être à cause de l’opposition que les élections seraient repoussée.
Retards logistiques et financiers
Enfin, d’autres signes montrent que le président Kabila se hâte très lentement pour lancer le processus électoral. Les machines à voter sont encore loin d’être toutes arrivées… et testées. L’argent manque et n’a pas encore été entièrement décaissé pour financer intégralement le scrutin, comme l’a souhaité le chef de l’Etat, et la formation des agents électoraux a pris du retard. Dernière inquiétude : l’insécurité qui peine à être maîtrisée aux quatre coins du Congo. Un peu plus de 140 groupes armées pullulent encore à l’Est du pays et l’annonce opportune de la création d’une nouvelle rébellion obscure cet été a relancé le débat, faisant dire au président de la Ceni, Corneille Nangaa, que le retour des troubles dans certaines provinces pouvait impacter la bonne tenue du scrutin.
Huis clos
A quatre mois de la présidentielle, on n’est plus vraiment sûr que Joseph Kabila veuille vraiment passer la main. En tout cas, le président a consciencieusement listé tous les prétextes et préparé tous les subterfuges pour justifier un troisième report des élections. D’autant que (autre signe inquiétant) la RDC poursuit son isolement diplomatique en refusant désormais la présence sur son sol d’envoyés spéciaux ou d’observateurs internationaux. Une visite du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a été jugée « inopportune » par l’entourage de Joseph Kabila en juillet. Tous ces très mauvais signaux font craindre une nouvelle volte-face du président Kabila, si ce dernier voit que le scrutin pourrait échapper à son poulain. Car en fait, pour le pouvoir, le meilleur successeur à Joseph Kabila reste Joseph Kabila lui-même. Pour l’instant, le président contrôle fermement l’État, la machinerie électorale, et continue de diviser l’opposition. Un scénario parfait pour reporter encore une fois la présidentielle et se maintenir au pouvoir après un énième dialogue national. En tout cas, le président fait comme si ce scénario était désormais le plus plausible.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Une bonne analyse qui nous résume toute l’historicité de la stratégie d’un occupant fraudeur. A travers votre analyse, je ne sais où placer les intentions et/ou les calculs de certaines oeuvres dont l’Université de Matata pour la formation des jeunes du Grand Kivu et ceux du CPGL, Vous ne craignez pas que ça soit une réponse anticipée en cas de balkanisation ? Le choix de Shadary ne serait pas un plus à la fameuse théorie de l’autonomie du Grand Kivu en cas d’échecs ou de refus de kabilstes aux affaires publiques ? kabila ne quittera pas le pouvoir sans balkaniser la RDC sauf si et seulement un Kivusien voire une taupe le remplace. Suis-je en erreur ?
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Dire que la crise politique actuelle est l une des plus grave est pour le moins exagéré. Le pays il y a peu a connu coup d état, interdiction des partis et de toute activité politique, relégation des opposants soit en exil au bagne où au village, ensuite guerre civile et régionale, assassinat de son président, partition, balkanisation, centaines de groupes armées, une demi douzaine de forces militaires des pays voisins, des mercenaires de tous les pays, pays divisé en 4 zone militaire ( armée régulière, mlc, rcd,,…) plus d économie, plus de monnaie, plus d état. Et ceci c est dans la période récente, je ne remonterais pas à 1960-1965. Il faut être sérieux et objectivement voir d où l on vient.
@Guis
Vous voilà acculé à des banals accessoires du genre, « la crise politique actuelle est-elle la plus grave vécue par notre pays ? »
C’est dire l’échelle de votre débandade dans votre tentative de diagnostic de l’état de notre pays à l’image de la déroute croissante elle-même de la gestion de ce pays…
Pitoyable !
Je ne lis aucun contre argument dans votre réponse. Faites un effort pour nous édifier…
@Guis
Tant pis pour vous si noter la vacuité de votre propos selon lequel « la crise actuelle n’est pas la plus grave vécue par notre pays » dans le diagnostic de l’état du pays n’est pas un contre-argument valable ! Ça ne méritait pas plus, selon moi, désolé !
Sinon dommage que vous n’ayez pas pris connaissance de ce que personnellement j’ai déjà eu à dire ici sur l’état du pays; je le répéterai sans doute à d’autres occasions ; tandis que de vous je n’ai jamais rien lu de consistant…
A plus, sans doute mais entre-temps n’en doutez guère, cher ami : je suis loin de toute polémique inutile…
kabila est un imposteur qui a compris simplement que la classe congolaise n’a aucune personnalité ! c’est pourquoi, il se délecte de la médiocrité de cette classe politique!
les gens qui disent une chose et son contraire à la fois sans craindre le ridicule, comment voulez-vous qu’un inculte comme lui ne puisse pas en profiter?
A voir simplement son entourage et ce qu’a été l’entourage de Mobutu, vous vous rendez compte que la bassesse et la flagornerie est la base commune , à ceci vous ajoutez la concussion et la corruption . Un pays comme le Zaîre serait au même niveau que la France ou les USA si on dégageait cette classe politique de merde.
Kabila ne connait même pas le cours du coltan aujourd’hui;ni du cobalt ni du cuivre !
Que dire du diamant, car on ne sait plus où passe ce minerai , moins encore le pétrole!
Ce Kabila qui est arrivé en guénilles, bottes de jardin au pied,kalachnikov rouillée en bandouilière, ne parlant que swahili et un pauvre anglais, aujourd’hui il est devenu milliardaire en hypothéquant nos ressources pour es décennies,alors qu’il se moque de nous congolais ; vraiment il est temps que les congolais se sacrifient pour les générations futures.La diaspora qui profite de cette situation pour s’enrichir après avoir souffert en occident pour nouer les 2bouts du mois doit être chassée de ce pays , elle est en grande partie responsable de cette situation, à commencer par Mende.
Quelquun qui sest permis un glissement de deux ans, vous estimez quil a respecté la constitution ? A propos de la corruption, Luzolo Bambi a reconnu que le pays perdait 15 milliards de dollars chaque année de suite de corruption. A Makala, je nai pas encore vu un seul congolais détenu pour cette infraction. Où sont ces corrompus et corrupteurs ? On nous a parlé de Panama papers, de Lumumba papiers, on a vu ni entendu aucune enquête sur les deux dénonciations. Peut-être parce que ce n »est pas Jeune Afrique qui na pas dénoncé. Jaynet serait tjr candidate députée. Je veux bien que Bemba soit callé. Mais il faut aller plus loin pour des infractions commises au Congo. Il semblerait que Fidèle Babala serait rejeté et Aimé Kilolo jugé recevable alors que tous les deux étaient condamnés pour subornation de témoins. Tout cela nous pousse au questionnement.