L’ancien président congolais consulte à tout-va depuis Addis-Abeba, où il a rencontré Moïse Katumbi et Claudel André Lubaya. Retour sur un come-back politique dont personne ne sait vraiment où il va aller.
Qui a réveillé Joseph Kabila ? Depuis 2018, l’ancien président congolais s’est adonné à sa pratique favorite : se taire et se faire le plus discret possible. Ses sorties officielles se sont comptées sur une main. Un bref passage à l’université de Johannesburg pour y valider un master et au Sénat congolais où il y est sénateur à vie, puis… plus rien. « Le principal artisan du retour de Joseph Kabila s’appelle Félix Tshisekedi avec son projet de changement de Constitution », confie à Afrikarabia Claudel André Lubaya. L’ex-député, ex-kabiliste et ex-soutien de Félix Tshisekedi passé dans l’opposition, a récemment rencontré Joseph Kabila à Addis-Abeba. Pour Claudel André Lubaya « Kabila est un acteur majeur de la vie politique, sociale, économique, sociale et militaire depuis 25 ans. Et dans une période comme celle que nous vivons, il est nécessaire de le consulter, d’échanger et de voir comment il analyse la situation ».
« Faut-il ignorer Kabila ? »
Il faut dire que la volonté de Félix Tshisekedi de modifier la Constitution a bel et bien réveillé l’opposition congolaise, qui accuse le chef de l’Etat de vouloir s’accrocher au pouvoir et briguer un troisième mandat que lui interdit le texte actuel. L’ancien député, aujourd’hui en exil, analyse de manière pragmatique et mathématique sa volonté de rencontrer Joseph Kabila. « 90% du personnel politique congolais est membre de l’Union sacrée de Félix Tshisekedi. Il faut que les 10% qui restent soient capables de se mettre ensemble. Dans ces 10%, faut-il ignorer Joseph Kabila ? Non. Il a été à la tête du pays pendant 18 ans. Il est responsable de deux groupes politiques, le FCC et le PPRD. Et il a une expérience politique indéniable. Dans le contexte actuel, il a un rôle à jouer et des conseils à donner ».
Réconciliation Kabila-Katumbi
L’ancien Raïs tout azimut. A la mi-décembre, il a rencontré un des poids lourd de l’opposition, Moïse katumbi, également à Addis-Adeba, en terrain neutre. Le tête-à-tête, à huis clos, a fait coulé beaucoup d’encre. Les deux hommes ont été alliés du temps où Moïse Katumbi était gouverneur de la riche province minière du Katanga. Possible dauphin de Kabila, Katumbi quitte le navire lorsqu’il se rend compte que Joseph Kabila cherche à modifier la Constitution pour s’offrir un troisième mandat. L’homme d’affaires va payer cash son passage dans l’opposition et subir les foudres de la justice congolaise, et sera contraint à l’exil. A couteaux tirés pendant de longues années, les deux hommes vont se réconcilier en mai 2022 dans la cathédrale de Lubumbashi.
« Dérive autoritaire et dictatoriale de Félix Tshisekedi »
Comme pour Claudel André Lubaya, les retrouvailles politiques d’Addis-Abeba entre Katumbi et Kabila vont se sceller grâce au « miracle des veileités de changement de Constitution de Félix Tshisekedi » explique à Afrikarabia Olivier Kamitatu, porte-parole de Moïse Katumbi. Les points de convergence sont nombreux entre les deux leaders. « Il y a tout d’abord le refus du changement de la Constitution et de la présidence à vie pour Tshisekedi dont Jospeh Kabila et Moïse Katumbi savent qu’il est le produit d’une fraude et dont la légitimité peut être remise en question. Le deuxième point d’accord, c’est la dérive autoritaire et dictatoriale de Félix Tshisekedi qui s’illustre par de nombreuses violations des droits humains, avec des arrestations arbitraires d’opposants, mais aussi de ses propres alliés. Enfin, sur le conflit à l’Est, Joseph Kabila et Moïse Katumbi ont réaffirmé leur soutien aux processus de paix de Luanda et de Nairobi et font confiance dans la médiation angolaise et kényane pour la cessation des hostilités ».
Kabila, un passé qui ne passe pas
Ces rencontres entre Joseph Kabila et l’opposition qui, dans son ensemble, à intégrer l’ancien président dans sa coalition anti-Tshisekedi, posent question. Les Congolais ne sont pas amnésiques et les critiques contre le régime Tshisekedi sont les mêmes que celles contre Joseph Kabila lorsqu’il était au pouvoir et souvent formulées par les mêmes personnes. Ces rapprochements avec Kabila, qui semblent « contre-nature », ne risquent-ils pas de brouiller les pistes d’une opposition déjà morcelée et en quête de ligne politique claire ? « On est conscient qu’il y a un frein sur cette question, avoue Olivier Kamitatu. Les Congolais n’ont pas oublié le passé, mais Moïse Katumbi et notre groupe sont aujourd’hui tournés vers l’avenir. On ne peut pas avancer en ayant le regard dans le rétroviseur. Le plus important est d’empêcher que le pays ne soit englué dans la dictature que Félix Tshisekedi est en train de confectionner ». Même son de cloche chez Claudel André Lubaya. « Joseph Kabila a eu sa part de responsabilité dans la gestion du pays. Je crois qu’il l’assume. Mettons de côté les divergences et les reproches et préservons le pays ».
Kabila « s’est remis en question »
Depuis qu’il a quitté le pouvoir en 2018, Joseph Kabila aurait-il changé ? Pour Olivier Kamitatu, « Joseph Kabila a évolué à la fois sur le plan psychologique et sur le plan politique. Personne n’oublie qu’il avait, lui aussi, caressé l’espoir de déverrouiller l’article 220 de la Constitution pour bringuer un troisième mandat. Il n’y est pas parvenu et je crois qu’il en a tiré toutes les leçons possibles. Sur le plan humain, Joseph Kabila a changé depuis maintenant deux ans avec la réconciliation katangaise, qui au-delà des deux hommes, est une réconciliation des deux communautés Luba et Katangais du Sud ». « C’est un homme qui s’est remis en question et a su faire son introspection, croit savoir Claudel André Lubaya qui l’a rencontré en tête-à-tête. En parlant avec lui, j’ai senti un homme différent de celui que nous avions connu. En fait, il s’est assagi ».
Amalgame avec le M23
Si Kabila revient sur le devant de la scène, il devient également une cible de choix pour Félix Tshisekedi et le camp présidentiel. « Ne vous laissez pas tromper par ceux qui ont dirigé ce pays pendant 18 ans sans rien vous donner » a lancé l’actuel président en meeting dans les Kasaï. Félix Tshisekedi a même un argument de choc pour disqualifier son ancien allié de circonstance au début de son premier mandat : « l’AFC de Nangaa, c’est Kabila ». Le chef de l’Etat accuse, en effet, Joseph Kabila d’entretenir des liens avec Corneille Nangaa, ancien patron de la Commission électorale sous sa présidence, qui a rallié les rebelles du M23, appuyés par le Rwanda. Tshisekedi va même plus loin en accusant Kabila de fomenter une insurrection. Des accusations qui ne perturbent pas Claudel André Lubaya, lui-même soupçonné d’être en relation avec l’AFC, la branche politique du M23. « L’UDPS est passé maître en diabolisation de ses adversaires, en manipulation des opinions et en mensonge, se désole l’ancien soutien de Félix Tshisekedi en 2018. Je suis républicain et je le reste. Je suis légaliste et je le demeure ». « Le président Tshisekedi n’en a jamais apporté la moindre preuve, renchérit Olivier Kamitatu, et il prend surtout le risque d’entraîner le Congo dans une guerre civile ».
Kabila sait maintenant « qui est qui »
Certains se demandent ce qu’ils vont tous chercher auprès de Kabila ? Le FCC et le PPRD, ont été laissés en déserrance après le départ de Kabila du pouvoir, sans stratégie, et avec une consigne de boycott des élections de 2023 qui a fait fuir la plupart de ses cadres. La kabilie a déserté et le FCC ressemble à une coquille vide. « Il ne faut pas oublier, rappelle Claudel André Lubaya, que la grande majorité des collaborateurs de Félix Tshisekedi, dans les services, au gouvernement, sont des anciens collaborateurs du président Kabila. Félix Tshisekedi a créé l’Union sacrée en débauchant les Kabilistes ». « En privé, Joseph kabila dit que ces années de silence et de retrait lui ont été extrêmement bénéfiques, précise Olivier Kamitatu. Maintenant, il sait « qui est qui ». Il a conscience que ceux qui l’ont quitté ne reviendront plus dans son giron. Kabila et Katumbi ont fait un apprentissage politique douloureux… et Félix Tshisekedi n’est pas étranger à cela !»
Le retour du « taiseux »
Sans réelle force de frappe politique, Kabila est avant tout une force de frappe symbolique, médiatique… et financière. Son retour possible dans l’arène politique peut-il créer un électrochoc, mais surtout, Joseph Kabila a-t-il vraiment envie de revenir sur le devant de la scène ? Ses soutiens le croient. « Que ceux qui prennent le taiseux pour un muet et donnent le lion au repos pour mort se détrompent », avertissait Raymond Tshibanda, le coordonnateur de la cellule de crise du FCC dans un récent communiqué. « Ce serait une erreur politique majeure de le conjuguer au passé » pense de son côté Claudel André Lubaya. Olivier Kamitatu explique également qu’il y aura une suite à ses rencontres et pas seulement avec Kabila et Katumbi, mais avec l’ensemble de l’opposition pour « forger une vision commune, peser politiquement et diplomatiquement ». « C’est n’est qu’un début, détaille Claudel André Lubaya. Ensuite, nous déclinerons un agenda pour mener des actions sur le terrain et empêcher Tshisekedi de diviser notre Nation par sa gouvernance toxique pour le pays. Avant la fin de ce mois, il y aura un calendrier des actions qui seront menées ». Avec Kabila ? « Il ne peut pas rester à l’écart du combat pour défendre la Constitution » confesse l’ancien député.
Christophe Rigaud – Afrikarabia