Un conflit à l’Est du pays qui s’enlise, une crise politique qui couve avec un projet de réforme constitutionnelle… L’année qui vient ne sera pas de tout repos pour le président congolais. Explications.
Sur le haut de la pile, le dossier prioritaire pour le président Tshisekedi reste celui de la guerre à l’Est qui va continuer de mobiliser toute l’attention en ce début d’année 2025. Depuis maintenant trois ans et le retour du M23, les rebelles, appuyés par le Rwanda voisin, occupent une grande partie de l’Est du Nord-Kivu et continuent de progresser vers le Nord de la province, en territoire de Lubero, et vers l’Ouest, vers le Masisi. L’armée congolaise n’a, jusque-là, jamais réussi à stopper l’avancée rebelle, malgré l’appui des soldats de la force régionale de l’Afrique de l’Est (EAC), puis de l’Afrique australe (SADC), des milices supplétives Wazalendo et des mercenaires privés. Après un énième remaniement au sein de l’armée congolaise (FARDC) qui a permis d’exfiltrer le chef d’état-major et quelques commandants de zones, les dernières semaines de 2024 ont été marquées par une contre-offensive dans le Sud-Lubero pour tenter d’empêcher les rebelles de prendre Butembo, la deuxième ville du Nord-Kivu. Une maigre satisfaction pour Félix Tshisekedi, qui promet, sans succès depuis 3 ans, de ramener la paix dans l’Est congolais. Depuis quelques jours, c’est le Masisi qui est en proie aux coups de boutoirs du M23 avec la prise de Katale et de Masisi-Centre ce week-end. Un nouveau front que l’armée congolaise peine à juguler.
Des processus de paix qui font pschitt
En échec militaire, le président congolais a cherché une porte de sortie diplomatique. Tout d’abord en ciblant le parrain rwandais de la rébellion. Il faut dire que depuis la reprise du conflit avec le M23, fin 2021, les nombreux rapports des experts de l’ONU ont systématiquement pointé le soutien rwandais, en hommes et en armes, à la rébellion. Environ 4.000 soldats rwandais se trouveraient aux côtés du M23 sur le sol congolais. Une dénonciation de Kinshasa qui a fini par porter ses fruits à l’ONU et chez ses principaux partenaires internationaux qui ont tous condamné le soutien de Kigali aux rebelles, demandant au Rwanda de retirer ses troupes. Des condamnations, mais pas de sanctions, et surtout, sans aucun effet sur le président Kagame qui continue de nier la présence de ses soldats au Congo. Pour sortir de l’impasse, le processus de paix de Luanda, piloté par le Joao Lourenço, a été mis sur pied par l’Union africaine. Le président angolais a tenté pendant de longs mois de faire se rencontrer les deux présidents afin d’accepter un plan de neutralisation des FDLR, un groupe armé composé d’ex-génocidaires et hostile à Kigali, assorti d’un désengagement des troupes rwandaises du Nord-Kivu. Juste avant la signature le 15 décembre, Kagame refuse de se rendre à Luanda, considérant que Kinshasa doit ouvrir des négociations directes avec le M23 (une crise congolo-congolaise pour le président rwandais) ce que refuse Tshisekedi qui en a fait une ligne rouge.
Un retour du M23 à Nairobi ?
Dans l’impasse, Félix Tshisekedi doit maintenant trouver une autre porte de sortie. En difficulté militaire devant l’avancée rebelle vers Butembo, Kinshasa finit par accepter de rouvrir les discussions de paix de Nairobi au M23. Ce second processus de paix, sous la médiation de l’ex-président kényan Kenyatta, prévoyait, en parallèle de celui de Luanda, des négociations entre l’ensemble des groupes armés et le gouvernement congolais. Exclu de ce processus par Kinshasa, le M23 pourrait le réintégrer et entamer un dialogue par médiateur interposé avec les autorités congolaises. Les rebelles n’ont pas donné suite pour l’instant, estimant ne pas vouloir intégrer un processus avec des groupes armés qui ont, pour la plupart, rejoint la coalition gouvernementale sous bannière Wazalendo. Luanda étant au point mort, le processus de Nairobi revient sur le devant de la scène, ce qui explique le retour des affrontements directs entre le M23 et les FARDC pour gagner ou regagner des territoires et arriver en position de force à la table des négociations, brisant ainsi des accords de cessez-le-feu qui n’ont jamais vraiment été respectés depuis l’été 2024.
Offensives militaires à répétition avant l’arrivée de Trump
Dans cette situation de blocage, Félix Tshisekedi tente de reprendre la main sur le terrain militaire, avec un succès très limité jusqu’à aujourd’hui, et espère faire plier Paul Kagame pour un retrait de ses troupes du Nord-Kivu. Mais pour l’instant, seuls les rebelles donnent l’impression d’avancer leurs pions, notamment en ce début d’année 2025, en réactivant le front dans le Masisi et poussant leur avancée vers le Sud-Kivu. Dans cette province, le M23 pourrait effectuer la jonction avec un autre groupe armé qui déclare défendre, comme lui, la communauté rwandophone. Ce groupe « Twirwaneho » est dirigé par Michel Rukunda, dit Makanika, un déserteur de l’armée régulière, issu de la communauté banyamulenge. Si Tshisekedi et le M23 repassent à l’offensive, c’est aussi pour se positionner au mieux avant l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump. Personne ne sait comment le nouveau président américain pèsera, ou non, sur la zone des grands lacs et le conflit de l’Est congolais. A Kinshasa et Kigali, on pense pouvoir bénéficier du retour de Trump. Preuve de l’incertitude qui plane sur la future politique africaine des Etats-Unis. La seule chose que l’on sait, c’est que Trump est imprévisible. En-dehors du dossier sécuritaire, qui n’est plus une priorité pour Washington, la présence de minerais stratégiques à foison dans le sous-sol congolais pourrait (peut-être) attirer l’attention du 47e président de la première puissance mondiale.
Une réforme constitutionnelle sortie de nulle part
Le second dossier chaud sur la table de Félix Tshisekedi est politique. Et contrairement à la crise du M23 sur laquelle le chef de l’Etat a peu de leviers d’action, les tensions politiques qui secouent Kinshasa depuis plusieurs mois sont uniquement de son ressort, et portent un nom : réforme de la Constitution. Réélu fin 2023 avec une victoire écrasante à la présidentielle et une majorité stratosphérique à l’Assemblée nationale et au Sénat, Félix Tshisekedi a décidé d’ouvrir le débat hautement inflammable et radioactif d’une révision de la Constitution. Sortie de nulle part et jamais évoqué pendant la campagne électorale de 2023, le projet de réformer la Constitution devient subitement la priorité de Félix Tshisekedi, provoquant une levée de bouclier de la société civile et de l’opposition restée jusque-là KO debout après son échec électoral. Jusqu’à réveiller l’ancien président Joseph Kabila, qui s’est allié avec Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Matata Ponyo contre toute modification de la Constitution. Cet étrange attelage considère ce projet comme une manoeuvre de Félix Tshisekedi pour s’accrocher au pouvoir et pourquoi pas, briguer un troisième mandat que lui interdit l’actuelle loi fondamentale.
De la révision au changement de Constitution
Quelle mouche a donc piqué Félix Tshisekedi pour se lancer dans ce projet à haut risque ? D’autant que rien n’en justifie l’urgence. Le pays est en guerre, et en très mauvaise posture ; 70% des Congolais vivent toujours sous le seuil de pauvreté et 24 millions sont en insécurité alimentaire ; la corruption semble toujours gangréner les élites et les services de bases, routes, accès à l’eau ou à l’électricité sont toujours défaillants. Les arguments avancés par le chef de l’Etat paraissent bien maigres : « une Constitution écrite par des étrangers » qui ne serait pas adaptée « aux réalités congolaises » et un article 217 qui stipulerait que le pays pourrait céder une partie de sa souveraineté à ses voisins. D’ailleurs, ses principaux soutiens hésitent toujours à se lancer dans une liste d’articles à modifier puisque le président a annoncé la mise en place d’une Commission pour y réfléchir et parle désormais d’un changement de Constitution et non plus d’une simple révision.
L’Union sacrée sous pression
Ce timing étonnant est la conséquence directe des scores électoraux stratosphériques de sa majorité au Parlement. Dans une sorte d’Ubris, Félix Tshisekedi pense en effet pouvoir manoeuvrer à sa guise sa majorité pour prolonger sa durée de vie à la tête de l’Etat congolais. Mais à la différence de Joseph Kabila, Félix Tshisekedi préfère se saisir du sujet dès la première année de son dernier mandat, plutôt que d’attendre le dernier moment, comme l’a fait l’ancien président en 2015, déclenchant une crise pré-électorale sans précédent, l’obligeant à renoncer à tripatouiller la Constitution. Car Félix Tshisekedi sait parfaitement que sa majorité est trop nombreuse et trop hétérogène pour être complètement fiable. L’actuel président avait d’ailleurs réussi à retourner la majorité kabiliste en 2020 pour créer son Union sacrée de la Nation (USN). Un tour de passe-passe qui pourrait se retourner contre lui demain. Félix Tshisekedi a donc désormais 4 années pour mettre sous pression sa majorité et compter les réels soutiens de sa réforme constitutionnelle… Menaçant de provoquer une dissolution qui mettrait au chômage une bonne partie des parlementaires actuels.
Faire le ménage dans la majorité présidentielle
En polarisant le débat politique sur la question de la Constitution, le chef de l’Etat souhaite aussi faire le ménage dans ses soutiens. Il se murmure qu’un possible remaniement est actuellement dans les tuyaux début 2025. Une façon de pousser les caciques de l’Union sacrée à se positionner. Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe sont restés assez évasifs sur le sujet, ne contestant pas la possibilité de réviser la loi fondamentale, mais sans s’avancer sur son possible changement. Seul le MLC de Jean-Pierre Bemba, en mauvaise santé politique et sur la corde raide avec Tshisekedi, a rétropédalé sur les propos de son propre patron, validant un changement de Constitution. Quant à Vital Kamerhe, le très stratégique patron de l’Assemblée, il n’est pas sorti de sa réserve, espérant « tenir » au sein de l’Union sacrée jusqu’aux élections de 2028. Certains s’interrogent enfin sur l’avenir de la très transparente Première ministre Judith Suminwa, qui peine à exister face à l’omniprésence de Félix Tshisekedi qui a récemment multiplié les déplacements en province, vampirisant le débat public.
Le vent du boulet au Kasaï
Félix Tshisekedi s’apprête donc à placer sa majorité sous surveillance jusqu’à la fin de son mandat. Concernant son projet de modification ou de changement de Constitution, le président devrait procéder par petites touches, à coup de ballons d’essais, et s’adaptera en fonction des réactions plus ou moins vives de l’opposition et de ses alliés de circonstance. Le risque est de focaliser le débat politique autour de la Constitution. Ce que dénoncent d’ailleurs l’opposition et les mouvements citoyens, qui accusent Félix Tshisekedi de masquer ses propres échecs sécuritaires, économiques et sociaux par un débat volontairement clivant. Mais Félix Tshisekedi a déjà senti le vent du boulet et de la contestation populaire lors de son récent déplacement dans sa propre province d’origine, au Kasaï. La fronde a été feutrée, mais la frustration de la population a été bien réelle pendant la visite présidentielle, réclamant de l’eau (maï), de l’électricité (nzembo) et des routes, une des grandes promesses présidentielles pour cette province enclavée. Notamment la route de Kananga – Kalamba Mbuji, qui se fait toujours attendre. Le Centre de Recherche en Finances Publiques et Développement Local (CREFDL) a trouver l’explication de ce retard à l’allumage. Sur les 300 millions de dollars prévus pour sa construction, seuls 7,2 millions ont été décaissés en 2024. Sous pression, Félix Tshisekedi a annoncé que la route serait achevée à la fin de son mandat : « Jetez-moi des pierres si je ne tiens pas ma promesse ».
« Voilà le tableau macabre de la province du Kasaï-Central »
Pour mesurer l’état de mal gouvernance qui règne au Congo, il faut écouter le propre gouverneur du Kasaï-Central, Joseph Moïse Kambulu, membre de l’UDPS, le parti présidentiel, qui a brossé un portrait peu flatteur de sa province. En pleine conférence de presse, devant un porte-parole du gouvernement embarrassé, le gouverneur a tenu un discours de vérité, qualifiant sa province « d’abandonnée », où « tout est prioritaire ». « Il n’y a pas de voiries ici, nous avons deux offices qui n’existent que de nom. Nous avons l’Office des routes qui n’a rien fait et qui ne fait rien. Voilà le tableau macabre de la province du Kasaï-Central. Je suis gêné, je suis peiné » s’est-il désolé au micro, dénonçant l’absence de l’Etat. Résultat : le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a rappelé le gouverneur frondeur d’urgence à Kinshasa pour « consultations ». Une séquence qui démontre qu’à la rencontre des Congolais et des responsables politiques de terrains, la révision ou le changement de Constitution est loin d’être une priorité.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
« Une dénonciation de Kinshasa qui a fini par porter ses fruits à l’ONU et chez ses principaux partenaires internationaux qui ont tous condamné le soutien de Kigali aux rebelles, demandant au Rwanda de retirer ses troupes. Des condamnations, mais pas de sanctions, et surtout, sans aucun effet sur le président Kagame qui continue de nier la présence de ses soldats au Congo.. »
Commentaire: Parfois on a l’impression que vous vous moquez des authorités congolises! Où est le gain pour Kinshasa si les seules condamnations sont leurs seules consolations?
Kinshasa finit par accepter de rouvrir les discussions de paix de Nairobi au M23. Ce second processus de paix, sous la médiation de l’ex-président kényan Kenyatta, prévoyait, en parallèle de celui de Luanda, des négociations entre l’ensemble des groupes armés et le gouvernement congolais. Exclu de ce processus par Kinshasa, le M23 pourrait le réintégrer et entamer un dialogue par médiateur interposé avec les autorités congolaises. »
commentaire: Pensez vous vraiment que M23 ira à Nairobi pour assister à cette messe confiée à tous les groupes armés alliés de Kinshasa? Vraiment?
Le gain pour Kinshasa est désormais la reconnaissance unanime de la présence de soldats rwandais au Congo et la demande de retrait de ces troupes ce qui n’était pas le cas au début de la crise.Je pense également qu’il y a peu de chance que le M23 participe à Nairobi… tant qu’ils n’y sont pas contraints militairement ou obligé par leur parrain rwandais.
Je suis d’accord avec vous sur le fait que le M23 ne participera pas dans ce faux semblant de négociation réunissant les alliés de Kinshasa. Seul le rapport de forces va déterminer qui négocie avec qui.
Quand à la présence des troupes rwandaises (vrai ou faux), rien n’a ete convaincant comme preuve. Seuls les rapports des experts le disent sans fournis pour preuves (experts dont on connait des noms et des motivations). Mais là n’est pas la question. Du reste, le fait qu’on ne le mentionne pas spécifiquement dans les sujets de discussion de Luanda en dit long. « Mesures defensives » sont ainsi interprëtées différemment dépendamment des préférences à l’un ou l’autre camp en conflit..
Voici ce que j’en pense:
1. Tant et aussi longtemps que la question des Congolais d’expréssion rwandophone notamment de la communauté Tutsie ne sera pas résolue, la situation va pourir pendant longtemps. Ceux qui ont tracé les frontières sans consideration des réalités sociologiques (Belgique, Allemange, UK) savent tres bien à qui appartient ces terres en realité.
2. Si solution il y’en aura pour cette question de la region de l’Est de la RDC, elle viendra des pays de Eastern Community. Seuls ou en association avec la SADC. L’Occident est hors jeux. La venue de Trump ne changera rien. On est dans une région d’un peuple qu’on est intimide pas. Peuple plusieurs fois millkinaire.
J’espere que vous et moi seront encore en vie dans deux ans pour le constater.