Ex-ministre de la Santé, le docteur Ilunga est incarcéré depuis le mois de janvier après avoir été condamné pour détournement de fonds à 5 ans de travaux forcés, une peine qui n’existe plus dans la loi congolaise. Ses avocats expriment leur indignation sur des accusations fragiles et orientées. Une campagne menée sur Twitter pointe les anomalies de la procédure judiciaire et exige la libération du médecin (1).
Par jean-François DUPAQUIER
Ce lundi 11 mai doit s’ouvrir au tribunal de grande instance de Kinshasa/La Gombe le procès de Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, accusé de détournement de deniers publics. Une affaire très médiatique qui défraye la chronique depuis presque deux mois, au point d’occulter un dossier judiciaire important. Il s’agit de la démission puis de la condamnation à une très lourde peine du ministre de la Santé Le Dr Oly Ilunga Kalenga, un homme décrit comme un gestionnaire de santé hors pair aussi bien en Belgique, où il a officié durant une vingtaine d’années, qu’en RDC où il a organisé la lutte contre le virus Ebola.
La démission du Dr Oly Ilunga Kalenga
A l’été 2019, le Dr Oly Ilunga Kalenga, ancien ministre de la Santé, a été
entendu dans le cadre d’une enquête préliminaire portant sur l’allocation, présumée frauduleuse, de fonds publics destinés à la riposte contre la maladie à virus Ebola. Peu après, il fit l’objet d’une interdiction de sortie du territoire. Bien que l’accusation porte sur son action comme ministre de la Santé son dossier a été confié au Parquet général près la cour de cassation.
Oly Ilunga avait démissionné le 22 juillet 2019 de son poste de ministre de la Santé. L’une des causes de sa démission était son opposition à l’emploi d’un deuxième vaccin dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola « par des acteurs qui ont fait preuve d’un manque d’éthique manifeste », avait-il expliqué dans sa lettre de démission. Ce deuxième vaccin faisait l’objet d’un intense lobbying du laboratoire belge Janssen, filiale de l’Américain Johnson&Johnson.
Selon la rumeur, Oly Ilunga était en conflit avec l’équipe de Félix Tshisekedi qui venait de confier la conduite de la riposte contre l’épidémie au Dr Jean-Jacques Muyembe, directeur de l’Institut congolais de la recherche biomédicale de Kinshasa (INRB).
Une épidémie presque jugulée
L’épidémie d’ébola avait déjà tué plus de 2 000 personnes en deux ans en RDC, mais semblait presque jugulée. En RDC, 208 321 personnes ont été vaccinées contre Ebola, avec le vaccin «rVSV-ZEBOV fabriqué par le groupe pharmaceutique (américain) Merck ». La communauté internationale avait dépensé sans compter pour vaincre l’épidémie. Cette manne financière suscitait bien des convoitises.
L’arrestation du Dr Oly Ilunga Kalenga a provoqué une grande émotion en Belgique où il est qualifié de « éminent scientifique », et fut toujours soutenu par les milieux chrétiens. Il a obtenu son doctorat en médecine, chirurgie et accouchement de l’Université Catholique de Louvain en 1984, suivi d’une spécialisation en médecine interne (1991) en même temps qu’un Doctorat (PhD) en santé publique (1990). Il a entamé sa carrière en Belgique où il a été reconnu par ses pairs pour la qualité de son travail et pour son engagement managérial puisqu’il gravit les échelons au sein du groupe hospitalier bruxellois connu aujourd’hui sous le nom des Cliniques de l’Europe, soit les Cliniques Sainte-Elisabeth à Uccle, Saint-Michel à Etterbeek, Bella Vita Médical Center à Waterloo et la Consultation externe de Halle jusqu’à être nommé Administrateur-délégué et Directeur Médical du groupe en 2013.
Un honnête homme et un spécialiste reconnu
« Dans ses différentes positions managériales, sur le site Saint-Michel à partir de l’an 2000 d’abord, et au niveau du groupe à partir de 2013 ensuite, jamais le moindre reproche ou la moindre critique notamment concernant un risque de détournement d’argent dans cette institution hospitalière au chiffre d’affaires annuel dépassant les 200 millions d’euros », souligne l’un de ses avocats, Me Bernard Maingain
Me Maingain ajoute que le docteur Ilunga n’est pas un homme politique. Il ne cherche pas à faire une carrière politique. Il avait acquis la nationalité belge. Mais il a toujours voulu servir son premier pays, tout comme son père, le général Placide Ilunga Kakasu, l’a fait auparavant au sein des Forces armées zaïroises.
En Belgique, le Dr Oly Ilunga Kalenga avait fait la connaissance du leader de l’opposition congolaise Etienne Tshisekedi avant d’en devenir un ami et un conseiller très proche.
Le développement de l’épidémie d’Ebola a bouleversé sa vie. Dr Oly Ilunga Kalenga avait été contacté en 2017 par un représentant de Joseph Kabila pour rentrer au pays et diriger le ministère de la Santé. Consulté, Etienne Tshisekedi ne s’y est pas opposé. Pour ce faire, Oly Ilunga devait renoncer à sa nationalité belge, afin de se consacrer à ses nouvelles fonctions en conformité avec la Constitution. Il le fit.
Sollicité par un représentant de Joseph Kabila
Son mandat a donné toute satisfaction. Durant les deux ans et demi passés au Gouvernement, le docteur Ilunga s’est consacré avec professionnalisme et dévouement à réformer le système de santé, en redonnant aux pouvoirs publics la place centrale dans le secteur de la santé. Il a également géré avec succès plusieurs crises sanitaires dont deux épidémies d’ébola (Bas-Uélé et Équateur), plusieurs flambées de choléra (Kinshasa, Nord-Kivu, Kasaï-Oriental), une épidémie de rougeole, et des problèmes liés à la malnutrition aigüe dans plusieurs provinces du pays. « Sa gestion du Ministère de la Santé a été unanimement saluée, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Dans un contexte politique incertain rythmé par l’organisation des élections législatives et présidentielles maintes fois reportées, il a réussi à entreprendre de nombreuses réformes et projets stratégiques qui auront surement un impact sur le secteur de la santé en RDC au cours des années à venir », salue Me Guy Kabeya , avocat au Barreau de Kinshasa. Tout comme durant sa gestion de cliniques en Belgique, le docteur Ilunga n’a jamais détourné un centime. Chaque franc congolais dépensé devait être justifié. Le docteur Ilunga signait des états de dépenses avec pièces justificatives afin d’éviter toute malversation au sein de son cabinet. »
Revenons sur les derniers événements pour apprécier exactement les faits qui lui sont reprochés et qui amènent à s’interroger sur la régularité de la procédure.
Le déclenchement de l’affaire Ilunga
Le dossier a pour origine une plainte déposée le 19 juin 2019 par le docteur André Katukumbani Mupelela, agent du ministère de la Santé. Ce dernier, comme d’autres, s’est vu notifié de la fin de sa collaboration au sein d’une Cellule technique du ministère. Aucun fait de détournement n’est visé par la plainte. Aucun indice de début quelconque de preuve. Le docteur Ilunga est accusé « d’esclavagisme et de licenciement abusif » par un agent qui, comme plusieurs autres, a été réaffecté dans un autre service au sein du ministère, dans le cadre de la réforme structurelle lancée par le docteur Ilunga dès 2017. C’est cette plainte sans le moindre élément factuel qui va lancer l’enquête par le Parquet de la République.
Des irrégularités majeures en cours d’instruction
Dès le début de cet étrange dossier, le docteur Ilunga va connaître et finalement subir un « traitement spécial », accusé de vouloir fuir au Congo Brazzaville alors qu’aucun élément concret ne permet de fonder cette accusation. Il sera restreint dans sa liberté de mouvement à partir du 17 septembre 2019 mais il ne sera pas présenté à un magistrat pendant la période de résidence surveillée (2).
Comme ministre, la mise en accusation imposait le préalable d’un vote de l’Assemblée nationale décidant de suivre le réquisitoire du parquet. « Pour des raisons inexpliquées, cette formalité substantielle dont le défaut de respect vicie toute la procédure n’a pas été respectée et le docteur Ilunga a été directement traduit devant la Cour de Cassation statuant en premier et dernier ressort. Indépendamment de la perte du bénéfice de cette formalité préalable garantie par la Constitution de la RDC, le docteur Ilunga a perdu le droit de se défendre en première instance et de soumettre son dossier à la délibération des membres de l’Assemblée nationale, ce qui est une violation grave des droits de la défense », tient à souligner Me Guy Kabeya (3) .
Des accusations sans autre preuve que la délation non étayée d’un coaccusé
Lorsque le docteur Ilunga a été renvoyé devant la Cour de Cassation statuant au fond en premier et dernier ressort, sept reproches étaient formulés à son encontre et à l’encontre du « co-accusé », à savoir le conseiller financier de son cabinet. Cinq des sept chefs d’accusation ont été immédiatement écartés par la Cour de Cassation.Celle-ci a toutefois retenu deux chefs d’accusation des détournements prétendument commis par le ministre Ilunga et par le conseiller financier Ezéchiel Mbuyi pour deux montants l’un de 391.000 USD et l’autre de 13.000 USD. Malgré les dénégations de Monsieur Ilunga, celui-ci a été condamné.
Problème : le dossier est vide. Pour chaque prélèvement d’argent, le docteur Ilunga établissait un dossier écrit avec les justificatifs liés à l’utilisation des fonds, alors qu’en l’espèce le conseiller financier n’a jamais pu produire un dossier de ce type. L’argent a été remis au coaccusé délateur mais ensuite aucun élément ne permet d’indiquer une évolution des capitaux vers le docteur Ilunga. Pas un franc des sommes qu’il aurait détournées n’a été retrouvé chez le docteur Ilunga ou chez ses proches.
Problème : le dossier est vide
Pour Me Bernard Maingain, « le comptable public du Cabinet qui effectuait les retraits d’argent à la Banque centrale a déclaré que le docteur Ilunga n’a jamais été en relation directe avec lui, ce que la Cour de Cassation n’a pas relevé alors que ses déclarations exonéraient le docteur Ilunga de toute responsabilité. La Cour de Cassation n’a jamais établi le moindre élément d’intention frauduleuse dans le chef du docteur Ilunga. Pour que le docteur Ilunga soit condamné, il faudrait au minimum la conscience de l’existence d’une infraction ce qui n’est pas établi puisque le docteur Ilunga n’avait pas connaissance des faits. La condamnation est donc basée sur la parole d’un conseiller financier isolé, qui a tenté de couvrir sa responsabilité en accusant le docteur Ilunga ce qui est contredit par le comptable public également interrogé. »
« Peut-on condamner une personne au passé prestigieux et à la gestion irréprochable qui sert son pays au mieux de ses capacités, sur base d’une accusation isolée d’une personne qui a perçu des fonds et ne peut justifier de leur utilisation, tout en multipliant les déclarations contradictoires à l’instruction et en cours d’audience ? », appuie Me Kabeya .
Une condamnation illégale
Le docteur Ilunga a été condamné à 5 ans de travaux forcés. Or cette peine n’existe plus en droit congolais, car supprimée par les dispositions de l’article 16, alinéa 5 de la Constitution qui dispose : « Nul ne peut être astreint à un travail forcé ou obligatoire. »
Le docteur Ilunga lutte pour que la Justice de son pays respecte la loi qui doit gouverner ce dossier. L’arrêt prononcé devrait être cassé et l’affaire renvoyée devant l’Assemblée Nationale pour permettre au docteur Ilunga de se défendre devant l’Assemblée sur sa mise en accusation éventuelle.
Lorsque ses avocats ont déposé un pourvoi en cassation, nouvel incident de procédure : le greffier de la Cour de Cassation, sur instruction de sa hiérarchie, appose de sa main, la mention « Reçu par erreur » sur la requête qui pourtant avait été déposée dans le respect des délais légaux. Va-t-on assister à une nouvelle voie de fait dans ce dossier ? Le Docteur Ilunga sera-t-il privé de tous les droits revenant à un justiciable ? L’affaire Ilunga pose la question du droit à un procès équitable en République démocratique du Congo.
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- 1 Voir la campagne sur Twitter :
https://twitter.com/OlyIlunga?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor - 2 En principe, la résidence surveillée se fait pour des périodes de 15 jours. Le docteur Ilunga est resté dans cette condition pendant plus de 7 mois, sans qu’elle ne soit prolongée par la Chambre du Conseil et sans qu’il ne soit présenté à la Chambre du Conseil pendant toute cette période de rétention.
- 3 C’est également une violation de l’article 80 alinéa 1er de la loi organique n°13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation qui dispose que « sans préjudice de la procédure en matière d’infraction intentionnelle flagrante, la décision de poursuite ainsi que la mise en accusation des membres du gouvernement autres que le Premier Ministre, sont votées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée Nationale suivant la procédure prévue par son règlement intérieur. »
J’ai bien connu le Dr Ilunga lorsqu’il travaillait aux Cliniques de l’Europe.
J’étais à l’époque adjointe à la Direction des Soins Infirmiers et à ce titre je peux témoigner de sa parfaite intégrité, également de sa grande humanité et de son professionnalisme. Je suis sidérée de lire ce qui précède et je le soutiens totalement. J’espère que la clarté sera faite rapidement sur cette pénible affaire.
Professeur Docteur Yves Debaille
Directeur de l’IERST de l’ULI de Bruxelles
Mon honoré confrère Oly Ilunga Kalenga m’a sauvé la vie en diagnostiquant
en urgence un pré infarctus du myocarde qui justifia un quadruple
pontage coronarien le lendemain de ses examens.
Nous sommes devenus amis et il a accepté de collaborer à la création
du C R A C K ( Centre Régional Anti Cancéreux de KInshasa ) , vieux
projet humanitaire Euro Africain .
J’ai apprécié son professionnalisme et son humanisme.
Je souhaite sa très prochaine libération pour que notre collaboration se poursuive
dans l’intérêt
Un homme bien ! Respectant la personne qui est tout en bas comme ceux des hautes sphères .. c est sûrement pas dans son pays qu’il aurait réalisé cette sois disant escroquerie… il l a pas fait en Belgique et a gérer de main de maitre les cliniques de l Europe dont j ai été salarié plus de 10 ans !
dans l’intérêt e tous nos patiyents
J’ai travaillé avec Dr Ilunga au service d’urgence, et au soins intensi clinique de l’Europe.
Il est simplement irréprochable, grande professionnalisme, un grand médecin et très humain.
Je le soutiens de tout cœur et que justice soit fait pour l’aider à aider, à soigner ses compatriotes, comme il à fait en Belgique
Quel sera très bientôt le sort du Docteur Ilunga
Nous l’attendons tous avec impatience