Le confinement total de la capitale congolaise ce samedi a été reporté par la ville de Kinshasa. Le gouverneur redoute une explosion sociale dans une mégapole au bord de l’implosion.
Kinshasa vient de rater sa mise en confinement. Alors que la capitale congolaise de 12 millions d’habitants devait entamer un confinement total à partir de ce samedi 28 mars, le gouverneur de Kinshasa est revenu sur sa décision en reportant sine die la mise sous cloche de la ville. Un revirement surprise qui a créé la confusion en République démocratique démocratique du Congo (RDC) après l’annonce de l’Etat d’urgence par le président Félix Tshisekedi mercredi 25 mars. Depuis cette date, les déplacements depuis et vers Kinshasa sont interdits, les lieux publics fermés et les rassemblements limités.
Un confinement par rotation
Avec l’arrivée des premiers cas de Covid-19 à Kinshasa le 10 mars dernier, les autorités congolaises avaient semblé prendre la mesure du danger de la propagation de la maladie dans une capitale surpeuplée et au bord de l’implosion. En annonçant un confinement total « par intermittence » de Kinshasa, le gouverneur Gentiny Ngobila voulait également innover dans le mode de restriction de déplacement de la population. Les autorités de la capitale souhaitaient mettre en place un confinement par rotation : 4 jours de confinement, suivis de 2 jours où les Kinois pouvaient se ravitailler. Le tout sur 3 semaines consécutives.
Une flambée des prix
Mais quelques heures avant le lancement du confinement, les autorités provinciales de la capitale ont annoncé son report à une date non précisée. Le porte-parole du gouverneur a justifié l’annulation de cette mesure par une brusque flambée des prix sur les biens de première nécessité « susceptibles de créer l’insécurité ». En effet, dès l’annonce de la mise à l’arrêt de Kinshasa pendant 4 jours, les habitants se sont tous rués dans les commerces et les banques, créant des rassemblements importants et des bousculades bien peu compatibles avec les mesures de distanciation sociale recommandées pour éviter la propagation du virus.
« Catastrophe humanitaire »
Mais bien pire, l’annonce précipitée du confinement de Kinshasa n’a visiblement pas tenu compte de l’extrême précarité dans laquelle vit la grande majorité des Kinois, avec moins de 2 dollars par jour, sans eau, ni électricité, dans des cités insalubres où s’entassent les plus pauvres. « Le seul résultat auquel cela peut aboutir est une catastrophe humanitaire ou des émeutes » s’est inquiété le mouvement citoyen La Lucha. Tout comme le Cardinal Ambango qui plaide pour « un confinement accompagné. Je connais la situation de mon peuple. Si vous confinez les Kinois pendant deux ou trois jours, il y aura des morts ».
« Nous allons tous mourir… de faim ! »
« Cette mesure est irresponsable ! » tonne Jean-Claude Katenge, le président de l’ASADHO, une organisation de défense des droits de l’homme. Avec ce confinement « par intermittence », les Kinois allaient se retrouver dans les rues les mêmes jours pour s’approvisionner dans les magasins. Sur les réseaux sociaux, un Kinois ironise : « les 2 jours de ravitaillement seront consacrés à une contamination massive ! ». Les habitants de Kinshasa s’inquiètent également des conséquences économiques d’une telle mesure, alors que 78% des Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté. « Faire des courses ? Avec quel argent ? Nous n’allons pas mourir du Coronavirus, mais de faim ! », peut-on lire sur Twitter. « 90% de Kinois vivent du secteur informel et c’est chaque matin qu’ils sortent pour nourrir leurs familles le soir. Sans mesures d’accompagnement, il aura des débordements » prévient un autre internaute. Les conditions de vie précaire dans la capitale congolaise ne plaident pas non plus pour un confinement total. Seul un Kinois sur deux a accès à l’électricité et à l’eau potable… lorsque qu’il n’y a pas de coupures.
Un manque d’anticipation
Le report du confinement « donne l’impression que le pouvoir tâtonne dans la gestion d’une matière aussi délicate que la santé publique » s’interroge également le Cardinal Ambango, qui dénonce le manque d’anticipation des autorités. Certains politiques reprochent aux autorités congolaises d’avoir appliqué un simple « copié-collé » des mesures de confinement en vigueur en Europe, sans tenir compte de la triste réalité du terrain. Quatre députés nationaux ont rappelé dans un courrier adressé aux autorités que « le succès et l’efficacité des mesures de confinement reposent sur la prise en compte de la dimension, économique, sociale et humanitaire de la crise. »
Vers un taux de mortalité de 10% ?
Le temps presse. Avec 58 cas confirmés de Covid-19 et 5 décès, les autorités congolaises doivent agir vite pour circonscrire le virus, qui pour le moment est concentré sur la capitale. Mais le risque est grand, au vu du délabrement du système sanitaire congolais. Le pays ne compte que 250 hôpitaux généraux pour 80 millions d’habitants. La quasi totalité des Congolais n’a pas de protection sociale. À titre de comparaison, on trouve 13,1 lits par 1000 habitants dans les hôpitaux du Japon, 2,5 lits au Canada et seulement 0,8 lit en RDC. Face à une épidémie non maîtrisée et de grande ampleur, les hôpitaux congolais ne pourront pas faire face à l’afflux de malades. Jean-Jacques Muyembe, le patron de la riposte Covid-19 en RDC n’est pas vraiment optimiste. Le 11 mars dernier, dans une conférence de presse à Goma, ce professeur respecté affirmait qu’il y aurait « certainement un taux de mortalité qui avoisinerait les 10%. » Ce qui laisserait craindre 75.000 décès rien qu’à Kinshasa, selon un autre médecin, le Docteur Antoine Samsoni.
Pour une meilleure pédagogie
Avec 5 décès sur 58 cas officiellement déclarés, la RDC présente à ce jour le taux de mortalité le plus élevé en Afrique : 8,6%. L’Algérie est deuxième avec 6%. Ce qui en dit long sur la faillite du système de santé congolais. Les autorités doivent rapidement trouver la parade pour contenir l’épidémie. Le prix Nobel de la paix, le docteur Denis Mukwege affirme « se préparer au pire ». Et rappelle dans une vidéo, que « notre meilleur moyen d’enrayer la propagation du virus est la prévention ». Une prévention qui passe par des message pédagogiques compris et acceptés par toute la population. Un défi énorme pour ce pays-continent qui doit également faire face à la méfiance et au scepticisme de la population, comme cela a été le cas au Nord-Kivu pendant l’épidémie de fièvre Ebola. Mais il faudra faire vite car le temps est compté. L’augmentation des chiffres dramatiques de la contamination en Europe nous le rappellent tous les jours.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia