Plus d’une année après son décès en Belgique, un accord a été conclu pour ramener à Kinshasa la dépouille de l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Mais le corps du Sphinx reste toujours une monnaie d’échange politique entre le pouvoir et l’opposition.
La situation était ubueste, puis pathétique, avant de devenir franchement scandaleuse. Depuis maintenant 14 mois, le corps de l’opposant congolais Etienne Tshisekedi attend bien sagement dans une morgue de la banlieue de Bruxelles son inhumation en République démocratique du Congo (RDC). D’interminables tractations entre la famille biologique du « Sphinx de Limete » et les autorités congolaises ont retardé maintes fois son rapatriement sur la terre de ses ancêtres… sur fond de bataille politique. Son retour, a donc fait l’objet d’âpres négociations jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Ce week-end, c’est un accord politique qui a scellé le rapatriement de la dépouille d’Etienne Tshisekedi à Kinshasa.
Autour de la table, les principaux acteurs de la classe politique congolaise étaient représentés ce samedi 21 avril à Kinshasa. Du côté du pouvoir : le ministre de l’Intérieur, le gouverneur de Kinshasa, et le conseiller sécurité du président Joseph Kabila étaient présents. Pour signer l’accord au nom de la famille d’Etienne Tshisekedi : on trouvait Gérard Mulumba, le frère cadet de l’opposant, ainsi que Jean-Marc Kabund pour représenter l’UDPS, le parti créé par le défunt. En « témoin exceptionnel » à cette curieuse cérémonie : Joseph Olenghankoy, le président du Conseil national de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA) qui vivait « le plus beau jour de sa vie (sic) ». Le document formalise la création d’une commission de 9 membres pour le retour de l’opposant et l’organisation des obsèques. Un avion spécial sera mis à disposition de la famille pour le rapatriement du corps, qui sera exposé pendant 2 jours au Palais du peuple de Kinshasa. Enfin, l’inhumation d’Etienne Tshisekedi se déroulera dans la commune de la N’Sele, sur une parcelle familiale.
Un retour risqué pour Kinshasa
Mais alors pourquoi faut-il un accord politique pour organiser le retour de la dépouille d’Etienne Tshisekedi ? Certes le personnage est un acteur emblématique de l’opposition congolaise, de Mobutu à Kabila père et fils, certes sa figure reste encore très populaire dans tout le pays, mais il faut surtout regarder le contexte de crise politique dans laquelle se trouve la RDC pour se rendre compte du caractère ultra-sensible des funérailles d’Etienne Tshisekedi. Depuis décembre 2016, le mandat de Joseph Kabila a expiré, mais celui-ci s’accroche au pouvoir, remettant par deux fois la tenue des élections. L’opposition est vent debout contre le pouvoir et l’accuse de retarder volontairement le scrutin, tout en préparant des élections dans des conditions contestables.
Depuis la fin de l’année 2017, et le deuxième report de l’élection présidentielle, trois manifestations de l’opposition, organisées par le Comité laïc de coordination (CLC) et soutenu par l’Eglise catholique, ont été réprimées dans le sang, faisant plusieurs dizaines de morts. Le retour du corps de l’opposant historique, qui s’est battu jusqu’à sa mort pour faire partir Joseph Kabila du pouvoir, constitue donc un événement très risqué pour le pouvoir en place à Kinshasa. D’autant que le propre fils d’Etienne Tshisekedi, Félix, vient de prendre la succession de son père à la tête de l’UDPS, et souhaite se lancer dans la course à la présidentielle.
Des funérailles … mais pas de date
L’accord hautement politique du rapatriement du corps d’Etienne Tshisekedi est assortie d’une étrange condition, sans nul doute exigée par le pouvoir : l’observation d’une, non moins étrange, « trêve politique ». Le texte invite toutes les parties, ainsi que la population congolaise « à éviter toute récupération politique par les propos, gestes et actes de nature à perturber l’organisation harmonieuse de ces funérailles ». En d’autres termes : Kinshasa redoute que le retour de la dépouille de Tshisekedi ne vire à la mobilisation anti-Kabila. Il faut dire que les cérémonies d’hommages à celui qui a toujours combattu l’actuel chef de l’Etat congolais, constitueraient l’occasion idéale pour l’opposition d’effectuer une démonstration de force dans la rue.
La trêve politique demandée par le pouvoir ressemble une fois de plus à moyen de calmer les esprits, mais surtout de gagner du temps, en demandant que pendant la trêve, les revendications politiques soient mises de coté. Sauf que comme souvent à Kinshasa, le pouvoir joue la montre. Et aucune date de retour, ni de funérailles n’ont encore été dévoilée. A ce petit jeu-là, Joseph Kabila peut encore faire traîner les choses et mettre ainsi la contestation « sous cloche » pendant quelques semaines… voir plus. Le calendrier du pouvoir congolais est en effet souvent très extensible. Enfin, Joseph Kabila pourrait aussi prendre son temps pour faire revenir le corps d’Etienne Tshisekedi pour une autre raison. L’actuel Premier ministre Bruno Tshisbala est donné sur le départ et pourrait être remplacé par… Félix Tshisekedi ; c’est en tous cas ce que laisse fuiter la Majorité présidentielle. Si l’actuel président de l’UDPS affirme ne pas être intéressé par le poste pour l’instant, la donne pourrait changer une fois le corps d’Etienne Tshiskedi revenu au pays. L’instrumentalisation du corps du Sphinx n’est donc pas encore terminée.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia