Les derniers affrontements à la frontière entre la RDC et le Rwanda sont instrumentalisés par les deux régimes pour s’accrocher au pouvoir.
Qui croire ? Après chaque accrochage entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, le scénario est le même : chaque camp affirme avoir été attaqué par l’autre et se renvoie la responsabilité des violences. Pourtant, mercredi 11 et jeudi 12 juin, des tirs à l’arme lourde ont bien été échangés à la frontière entre les deux pays, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Goma (Nord-Kivu). Ce regain de tension est le plus grave depuis octobre 2013 et la défaite des rebelles du M23. L’incertitude plane également sur le bilan humain des affrontements. Alors que Kinshasa reconnait avoir perdu un seul de ses hommes, Kigali exhibait 5 corps, présentés comme des soldats des FARDC, l’armée régulière congolaise. Citée par l’AFP, une source militaire occidentale confirmait les 5 morts côté congolais, alors que le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende tentait d’expliquer que les Rwandais avait « récupéré des cadavres dans des hôpitaux, juste pour justifier leur thèse ». Sur les circonstances des accrochages, là encore le flou est total. Côté congolais, on déclare qu’un caporal des forces armées congolaises a été enlevé par des soldats rwandais. Les militaires congolais auraient alors riposté, et Il y a eu échange de tirs. Autre son de cloche à Kigali, où l’on affirme que des soldats congolais seraient venus au Rwanda « à deux reprises et auraient ouvert le feu ». Les forces rwandaises auraient alors choisi de riposter.
Relations exécrables
Qui dit vrai ? Nous ne sauront vraisemblablement jamais la vérité. Même si une équipe du Mécanisme conjoint de vérification (JVM), composée de Rwandais, de Congolais et de pays de la région a débuté une enquête, jamais cette instance n’a permis par le passé de désigner une quelconque responsabilité dans les affrontements rwando-congolais. Cette fois encore, on laissera Kigali et Kinshasa s’accuser mutuellement de tous les maux de la région. Il faut dire que les relations entre la RDC et le Rwanda sont exécrables depuis maintenant 20 ans et la fin du génocide rwandais. Les conséquences du conflit rwandais se sont transportées au Congo voisin dès 1994.
Collusion entre les FDLR et l’armée congolaise
Depuis l’arrêt du génocide au Rwanda et l’arrivée du FPR de Paul Kagame au pouvoir, Kigali accuse la RDC d’abriter avec une certaine complaisance les rebelles hutus des FDLR. Cette rébellion s’est installée dans l’Est du Congo avec la ferme intention de reprendre le pouvoir à Kigali et d’y déloger Paul Kagame. Avec le temps, les FDLR se sont noyés dans le magma des rébellions congolaises et ont été utilisés comme supplétifs par l’armée congolaise contre les groupes rebelles à majorité tutsie téléguidée par Kigali. La collusion entre l’armée régulière et les FDLR a été dénoncée à plusieurs reprises par le Rwanda d’abord, puis par le rapport des experts de l’ONU. Il y a quelques semaines, le gouvernement congolais a annoncé à grands renforts de communication la reddition et le désarmement de groupes FDLR au Nord et au Sud-Kivu. Mais l’opération n’a permis de démobiliser qu’une petite centaine de miliciens. « De la poudre au yeux » selon Kigali. Pour les autorités congolaises, il n’y a pas de hasard de calendrier. Le Rwanda cherche par ces « provocations » à la frontière, à « casser le processus de reddition des FDLR, en créant de l’insécurité pour conserver une raison d’intervenir dans la zone ». La présence des FDLR au Congo constitue donc le coeur des reproches de Kigali.
Des rébellions téléguidées par Kigali
A Kinshasa, on a une toute autre vision du voisin rwandais. Pour les Congolais, le Rwanda est à l’origine de deux « invasions » du territoire national. Une première en 1996 pour appuyer la rébellion congolaise de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, faire tomber Mobutu et traquer les génocidaires réfugiés au Congo. Le Rwanda traverse une seconde fois la frontière en 1998 pour tenter de faire chuter Kabila, entré en délicatesse avec le pouvoir de Kigali. Depuis la création de l’AFDL, soutenue par le Rwanda, toutes les autres rébellions qui ont secoué l’Est du pays ont été téléguidées par Kigali. Le RCD, le CNDP de Laurent Nkunda et le M23 de Bosco Ntaganda et Sultani Makenga ont tous reçu un soutien en hommes, matériels et logistiques du régime rwandais. Le même rapport d’experts de l’ONU qui accusait Kinshasa de faire alliance avec les FDLR affirmait dans le même temps que Kigali pilotait les rébellions congolaises à distance. Mais en 2009, les deux meilleurs ennemis se sont alliés pour se débarrasser d’un rebelle qui devenait de plus en plus encombrant, Laurent Nkunda, et pour tenter de mettre fin aux FDLR. Une alliance de circonstance qui sera de courte durée.
Deux présidents qui veulent s’accrocher au pouvoir
L’inimitié entre le Rwanda et la RDC convient pourtant assez bien aux deux régimes en place à Kigali et Kinshasa. Chacun se servant de l’autre comme un bien utile épouvantail. Le Rwanda, qui souhaite maintenir à distance les FDLR de ses frontières, n’a pas intérêt à voir le Congo se débarrasser de ces potentiels ennemis. Kigali a toujours refusé de voir revenir sur ses terres certains responsables du génocide de 1994 (ils ne sont d’ailleurs plus très nombreux au sein des FDLR actuels). Paul Kagame ne souhaite pas non plus négocier avec les rebelles hutus et les verrait bien rester « parqués » dans les Kivus. A Kinshasa, le Rwandais est l’homme que l’on aime haïr… la figure de l’ennemi. Un petit pays qui déstabilise le grand Congo depuis 20 ans. Le régime de Joseph Kabila, affaiblit par les élections contestée de novembre 2011, s’est « reconstruit » avec l’apparition de la rébellion du M23 (accusée d’être soutenu par le Rwanda) en mai 2012 et s’est finalement renforcé après sa victoire sur les rebelles en novembre 2013. Dans les circonstances actuelles, l’ennemi rwandais permet à Joseph Kabila de rassembler la population autour d’un objectif commun, faisant ainsi oublier une situation économique désastreuse et les futurs « tripatouillages » constitutionnels que craint l’opposition congolaise – voir notre article. De chaque côté de la frontière, on resserre les rangs autour du régime en place faisant ainsi un peu oublier les problèmes intérieurs et les volontés des deux présidents, Joseph Kabila et Paul Kagame, de s’accrocher encore un peu au pouvoir.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Il n’y a que les congolais qui sont dingues devant leur propre situation. Ils refusent de voir ce que tout le monde voit, pour enfin pleurer à la longueur des journées.
An interesting look at the border crossing and some of the people who cross https://www.youtube.com/watch?v=ispculK3pcI&feature=youtu.be