Le nouveau gouvernement de Jean-Michel Sama Lukonde a été investi à une large majorité par l’Assemblée nationale ce lundi 26 avril. Une longue liste de promesses a été annoncée par le Premier ministre, mais il faudra trouver 14 milliards de dollars supplémentaires pour financer le totalité d’un programme estimé à 36 milliards.
Difficile de faire très original lorsque l’on présente un programme de gouvernement en République démocratique du Congo (RDC). Depuis une vingtaine d’années, les mêmes litanies de promesses se suivent à la tribune de l’Assemblée nationale, sans jamais être suivies d’effets. Il faut dire que tout reste à faire au Congo. La sécurité, la santé, l’enseignement, la pauvreté, l’accès à l’eau ou à l’électricité… tout est à reconstruire, ou plutôt à construire tant les gouvernements précédents n’ont jamais réussi à imposer le changement et à améliorer la vie des Congolais.
Le premier mérite du nouveau Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde, a été de reconnaître les limites de l’exercice. « Les Congolais sont lassés par nos discours et nos bonnes intentions. Ils exigent désormais, de leurs gouvernants, des actes concrets avec impact direct dans leur vie de tous les jours » a avoué le chef de l’exécutif devant les députés réunis en plénière pour approuver son programme gouvernemental.
La sécurité d’abord
Sans grande surprise, le volet sécuritaire a été présenté comme la priorité principale du prochain gouvernement. L’insécurité croissante à Beni, Butembo, en Ituri et dans le Nord-Katanga constitue « une urgence nationale » pour le Premier ministre. En dehors d’une énième restructuration de l’armée congolaise, toujours impuissante face aux groupes armés, Sama Lukonde n’exclut pas de proclamer l’état d’urgence sécuritaire dans les toutes les zones en proie aux violences.
Trois nouveautés sont à noter dans le volet sécuritaire. Tout d’abord le possible remplacement de l’administration civile par une administration militaire dans ces territoires si la situation venait à se dégrader de nouveau. La volonté de proscrire l’incorporation des rebelles au sein de l’armée régulière et de la police. Et enfin, la fusion du programme de « Désarmement, Démobilisation et Réinsertion » (DDR) et de celui de « Stabilisation et Reconstruction des zones sortant des conflits armés » (STAREC), pour réinsérer les démobilisés vers des activités économiques et d’intérêt public ». Un processus qui a largement échoué faute de moyens financiers.
Pauvreté, gratuité de l’enseignement, infrastructures…
La vie quotidienne des Congolais est ensuite marquée par une situation économique des plus préoccupantes. Les 3/4 de la population vivent avec moins de 2 dollars par jour et le combat contre le chômage et la pauvreté constitue un des axes forts du programme gouvernemental. « La lutte contre la grande pauvreté sera décrétée, « grande cause nationale », assortie de moyens budgétaires conséquents » assure le Premier ministre. L’amélioration des conditions de logement, de santé, d’accès à l’eau et à l’électricité font également partie du volet social de l’exécutif. Jean-Michel Sama Lukonde a reconnu « les écueils » que rencontrait la gratuité de l’enseignement. Un audit et la restructuration du Service de Contrôle et de la Paie des Enseignants seront réalisés.
Sur le plan économique, le programme du gouvernement préconise la réhabilitation et la modernisation des infrastructures de base, toutes en piteux états, comme les routes, les ponts, les ports, les aéroports, ou les chemins de fer. Il prône également l’industrialisation de l’agriculture, l’amélioration du climat des affaires, la promotion de l’entrepreneuriat, l’intégration du secteur informel dans le formel… Des mesures maintes fois annoncées, mais jamais mises en oeuvre faute de moyens financiers… et de volonté politique.
« Des élections dans le délai constitutionnel »
Une autre mesure budgétivore était très attendue par les observateurs de la vie politique congolaise : les élections de 2023. Le Premier ministre s’en est tenu à la ligne tracée quelques jours auparavant par le chef de l’Etat lui-même : les élections auront bien lieu dans les dates prévues. Et de prévenir de tout risque de glissement du calendrier électoral : « Le gouvernement qui travaille pour l’organisation et la tenue des élections générales dans le délai constitutionnel, n’entend nullement conditionner le recensement et l’identification de la population à celles-ci, de sorte que ça puissent se réaliser en 2023 ». Là encore, le gouvernement a promis de prévoir les provisions nécessaires pour financer le scrutin, « en assurant la disponibilité permanente des crédits de manière à ne pas compromettre financièrement l’organisation des élections ».
Des mesures non chiffrées
Toutes ces promesses ont donc un coût. Le hic, c’est que le Premier ministre n’a pas chiffré ses annonces. Combien coûtera la lutte contre la pauvreté, la démobilisation des groupes armés, la construction des infrastructures, la gratuité de l’enseignement ? Personne ne le sait. Seul le coût global du programme du gouvernement a été évalué jusqu’aux élections de 2023. Sur les trois prochaines années, l’exécutif prévoit de dépenser 36 milliards de dollars, soit 12 milliards par an. Un budget qui reste très modeste au regard des efforts à accomplir et de la taille du pays. Pourtant, cette somme reste loin d’être acquise pour le nouvel exécutif congolais. En 2021, le budget est déjà tombé de 10 à 6,6 milliards de dollars. Et pour arriver aux 12 milliards prévus sur 3 ans, le gouvernement devra trouver 14 milliards supplémentaires. Un « gap » que le Premier ministre espère pourtant bien combler en proposant un budget rectificatif.
Gratter les fonds de tiroir
Mais les marges de manoeuvres sont étroites pour renflouer les caisses de l’Etat. Le chef de l’exécutif table sur une croissance (bien maigrichonne, Covid oblige) de 0,8% et la hausse des prix des matières premières, comme le cuivre, le cobalt ou l’étain. Il espère ensuite percevoir des recettes additionnelles comme les redressements fiscaux en cours dans le secteur minier, ou la redistribution de certains blocs pétroliers. La RDC compte récupérer, 1,3 milliard de dollars sur deux ans. Un reliquat de contrat chinois traîne encore dans les tiroirs et devrait rapporter 2 milliards de dollars sur 3 ans. Enfin, le gouvernement mise sur les bailleurs de fonds internationaux pour combler les trous dans la raquette. Un appui budgétaire du FMI de 1,6 milliards de dollars et un engagement de 800 millions de dollars de la Banque mondiale concernant la gratuité de l’enseignement devraient venir en aide au budget très serré du Congo.
Incertitudes financières et politiques
Nous l’avons compris, la réussite du programme de gouvernement, mené par Jean-Michel Sama Lukonde, dépendra de sa capacité à dégager des marges de manoeuvres financières suffisantes pour engager les chantiers annoncés. Mais nous savons déjà, au vu de l’ampleur de la tâche que les 36 maigres petits milliards engagés, seront largement insuffisants pour améliorer sensiblement la vie quotidienne des Congolais qui ressemble à un long calvaire.
Et lorsque le FCC ne voit dans le programme de Sama Lukonde qu’un copié-collé des promesses de son prédécesseur, Sylvestre Ilunga, le député Delly Sesanga, proche de Moïse Katumbi, émet quelques réserves sur son compte Twitter. « Je note que le programme est trop ambitieux, pariant d’accroître les ressources de 300% sur 3 ans peut être hasardeux. Il y a risque d’impasse pour son exécution ». Pour faire bouger les lignes, les moyens financiers compteront, mais la volonté politique également. Là aussi, l’incertitude plane sur la fiabilité et loyauté des députés de l’Union sacrée, transfuges du FCC. Majoritaires au sein de la plateforme présidentielle, ils peuvent bloquer l’action gouvernemental à tout moment… et le beau programme de Sama Lukonde ne restera qu’incantations.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Nous avons tous compris que l’ambitieux et logique programme de Sama a d’abord besoin d’argent dont il ne dispose pas aujourd’hui : 14 milliards de dollars supplémentaires pour son exercice sur 3 ans estimé à 36 pauvres milliards eux-mêmes déjà insuffisants pour s’attaquer aux nombreux défis du pays, sont attendus. Le PM a imaginé des pistes laborieuses où puiser ces fonds mais hélas il y’a un gouffre entre ses espoirs et leur accomplissement comme entre l’ambitieux challenge et la volonté politique constante qui manque souvent dans ce pays, Déjà l’accroissement des recettes sur lequel il repose largement son ambitieux programme révèle d’un exercice herculéen difficilement accessible. Osons espérer qu’après 100 jours sa volonté ne sera pas entamée et qu’il continuera à parler le même langage. En passant, je n’ai pas tout lu mais il me semble qu’il n’a pas beaucoup insisté sur le volet réduction du train de vie l’Etat, sous la pression du Chef bien concerné là dessus ? Souhaitons quand même bon courage et bonne chance au PM ! Puisse-t-il s’imposer comme le premier maître et premier comptable de son ouvrage, ça pourra compter pour sa réussite !
Un programme gouvernemental en quête de financement, je me demande pour quelle disgrâce? Si c’est pour maquiller des chiffres avec un discours flatteurs afin de mériter la confiance du parlement, alors le sous développement a encore de beaux jours devant nous. Soyons pragmatique face à la gestion des affaires publiques que de sarcabouter sur les illusions qui nous fait que marcher en reculant.
Un vendeur d’illusions