Condamné à dix-huit ans de prison ce mardi par la Cour pénale internationale, l’opposant congolais ne pourra pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Un verdict qui fragilise également son propre parti, le MLC.
La procureure avait requis « au moins vingt-cinq ans » de prison, ce sera finalement dix-huit. L’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba a été reconnu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité ce mardi par la Cour pénale internationale de La Haye (CPI). L’opposant congolais a été déclaré responsable des exactions de ses troupes, commis en Centrafrique entre 2002 et 2003, pour soutenir le président Ange-Félix Patassé face au coup d’Etat de François Bozizé. Même si Jean-Pierre Bemba n’était pas sur place pour diriger ses troupes, la CPI estime qu’il n’a pas pris « les mesures nécessaires et raisonnables » pour éviter ces crimes. Pendant plusieurs mois, les troupes du MLC de Bemba ont tué, violé, pillé, en toute impunité sur le sol centrafricain, faisant des centaines de victimes.
Un goût amer
Le verdict du procès Bemba constitue une première pour la justice internationale à plusieurs égards. Il s’agit tout d’abord de la peine la plus lourde prononcée par la Cour, depuis sa création en 2002. Le procès Bemba a ensuite permis de reconnaître pour la première fois le viol comme crime de guerre. Un « progrès immense » pour les nombreuses ONG qui prennent en charge les victimes de viols en Afrique et ailleurs. Mais si on peut se réjouir que des crimes finissent (enfin) par être punis sur le continent (et à juste titre), le procès de Jean-Pierre Bemba laisse un goût amer. Pour comprendre le malaise, il faut aller voir sur les réseaux sociaux. Si la majorité des internautes estiment que les crimes commis en Centrafrique ont été justement punis, certains qualifient l’affaire de Bemba de « procès injuste », « à sens unique » et la Cour pénale internationale de « tribunal occidental », « juste bon à juger des Noirs ».
« Se débarrasser d’un adversaire, comme aujourd’hui Katumbi »
Dans le cas Bemba, on peut en effet s’étonner de ne voir aucun Centrafricain, ni aucun militaire sur le banc des accusés. Ange-Félix Patassé, aujourd’hui décédé n’a jamais été inquiété par la justice internationale, pas plus que l’auteur du coup d’Etat, François Bozizé ou les militaires présents en Centrafrique. Toujours sur les réseaux sociaux, les Congolais se demandent également pourquoi la CPI ne juge pas les crimes des deux guerres du Congo, qui ont fait plusieurs millions de morts. De même pour les tueries de Beni dans l’Est de la RDC, où plus de 1.000 personnes ont été tuées en toute impunité ces derniers mois. Mais pour les Congolais, le procès Bemba ressemble avant tout à un règlement de compte politique après l’élection présidentielle de 2006 gagnée par Joseph Kabila et perdue par Jean-Pierre Bemba. « Joseph Kabila a voulu se débarrasser d’un adversaire politique majeur, il fait de même aujourd’hui avec Moïse Katumbi » nous confie un conseil du camp Bemba.
Mis à l’écart de la vie politique
Après ce verdict, l’avenir politique du sénateur Bemba paraît de plus en plus compromis. Condamné à dix-huit de prison, l’opposant congolais pourrait encore rester dix ans derrière les barreaux après déduction des huit ans déjà passés à La Haye. Autant dire qu’après dix-huit ans d’absence du terrain politique et une sortie prévue en 2026, la carrière politique de Jean-Pierre Bemba s’est sans doute arrêtée ce mardi à l’annonce du verdict. A l’approche d’une présidentielle des plus incertaines, la possible candidature du patron du MLC continuait à planer sur la vie politique congolaise. Avec plus de 40% des voix au second tour de la présidentielle de 2006, Jean-Pierre restait un adversaire sérieux pour la majorité, mais également pour les autres opposants congolais. La nouvelle de sa mise à l’écart de la vie politique pendant plusieurs années est donc accueilli avec soulagement dans le camp présidentiel, mais aussi chez certains leaders de l’opposition qui voient l’horizon se déboucher à l’approche de la présidentielle.
Le MLC à la croisée des chemins
Ecarté du jeu politique pour de longues années, le verdict de La Haye fragilise également le MLC, le parti créé par Jean-Pierre Bemba en 1998 en pleine guerre du Congo. Le parti, en perte de vitesse depuis les élections de 2011, résistera-t-il plus longtemps à l’absence du chef ? Le MLC et sa secrétaire générale du MLC, Eve Bazaïba, devront rapidement trouver la parade et se positionner concernant le dialogue national prôné par le président Kabila. Jusque-là hostile au dialogue initié par le chef de l’Etat, le MLC et ses cadres pourraient être tentés de négocier avec le camp présidentiel. Une décision qui fragiliserait par ricochet le reste de l’opposition congolaise, jusque-là relativement unie sur la question.
63 ans en 2026
Un soupçon d’espoir demeure pourtant pour les soutiens du patron du MLC : les avocats du « chairman » ont annoncé vouloir faire appel de la décision de la CPI, un appel non-suspensif qui devrait de toute façon maintenir Bemba en prison de longs mois. Mais l’espoir est là. Ses avocats pourraient également demander une libération conditionnelle, l’ancien vice-président ayant déjà purgé un tiers de sa peine. Une libération peu probable, en tout cas pour un retour en RDC, puisque Kinshasa devra autoriser la présence de Jean-Pierre Bemba au Congo… ce qui semble tout à fait irréaliste. Les chances sont aujourd’hui très minces de revoir un jour le « chairman » de retour au pays pour prendre sa revanche politique. Pourtant, certains de ses partisans y croient encore. En 2026, Jean-Pierre Bemba aura 63 ans… pas si vieux pour se relancer en politique.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia