Sur les trois accords signés à Washington le 4 décembre entre la RDC, le Rwanda et les Etats-Unis, deux sont exclusivement économiques. Un deal qui risque « de cantonner la RDC dans un rôle de fournisseur de matières premières sans créer de valeur ajoutée », alors que la paix se fait toujours attendre.

À voir la mine réjouie de Donald Trump à la signature de l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda et la froideur des deux présidents congolais et rwandais, on devine facilement lequel des trois a l’impression d’avoir fait une bonne affaire. « Tout le monde va gagner beaucoup d’argent » a promis le président américain. Si Donald Trump reconnaît que le conflit à l’Est du Congo a « coûté la vie à plus de 10 millions de personnes », le business n’est jamais très loin. « Ils ont passé beaucoup de temps à s’entretuer, maintenant ils vont passer beaucoup de temps à profiter des États-Unis » tonne le nouveau faiseur de paix de la Maison Blanche. L’accord de Washington signé le 4 décembre comporte trois volets. Le premier s’attache à acter une cessation des hostilités, un cessez-le-feu, un programme de désarmement des groupes armés et un processus de retour des personnes déplacées. Et il est loin d’être effectif. Mais le reste des accords signés avec Donald Trump est économique. Le second volet porte justement sur un « cadre d’intégration économique » entre Kinshasa et Kigali sous entremise américaine afin de mieux tracer les chaînes d’approvisionnement de minerais critiques (coltan, cobalt, cuivre, lithium) et d’assurer un accès à ces ressources, notamment aux entreprises yankees. Le troisième texte signé, plus confidentiel, est constitué d’accords bilatéraux entre les Etats-Unis, la RDC et le Rwanda. Concernant la RDC, le champ d’application est vaste. Il vise à renforcer le partenariat en matière de sécurité, d’infrastructures, mais aussi, et surtout, « de faciliter un accès stable, prévisible et durable aux minéraux critiques de la RDC » explique le compte X de la présidence congolaise.
« Un risque important de dépendance structurelle de la RDC »
Ce nouveau deal américain n’est pas sans faire penser au « contrat du siècle » passé par le président Joseph Kabila en 2008 avec la Chine. Un contrat sous forme de troc. La RDC offrait ses minerais (cuivre et cobalt) contre la construction d’infrastructures. Un contrat qui s’était surtout avéré largement perdant pour le Congo, puisque l’Inspection générale des finances (IGF) avançait un montant de 76 milliards de dollars de gain pour la Chine, contre seulement 3 milliards d’infrastructures construites pour la RDC. L’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP), une ONG locale qui traque les dérives de gouvernance et financières, s’inquiète de ce deal « minerais contre sécurité » signé par le président congolais à Washington. Si la coopération sur les chaînes d’approvisionnement des minerais critiques, le développement d’investissements américains, la gestion conjointe de secteurs-clés comme l’énergie ou les infrastructures semblent « positives » sur le papier, l’ODEP s’inquiète d’un « risque important de dépendance structurelle pour la RDC ». Selon l’Observatoire, « le pays ne dispose pas d’un pouvoir de négociation équivalent à celui du Rwanda ou des partenaires occidentaux (…). Il ne maîtrise toujours pas ses chaînes de valeur internes (…) et n’a pas développé d’industrie locale capable de transformer » ces minerais. Et de craindre que cet accord « risque de cantonner la RDC dans un rôle traditionnel de fournisseur de matières premières, sans créer de valeur ajoutée locale ». L’ODEP redoute que la RDC soit majoritairement perdante dans un deal « asymétrique ». D’autant que la paix se fait toujours attendre.
Un accord non-contraignant
Si le volet business de l’accord de Washington semble bien verrouillé par Washington, celui sur le retour à la paix dans l’Est congolais paraît beaucoup plus fragile quant à sa mise en oeuvre. Pour que cet accord, qualifié d’historique, le soit réellement, il faut qu’il soit appliqué sur le terrain. Et pour l’instant, la signature de l’accord a plutôt précipité les belligérants dans l’escalade militaire. La rébellion de l’AFC/M23 a largement progressé vers la ville d’Uvira, alors que l’armée congolaise poursuit ses bombardements aériens pour tenter de les freiner. Il faut donc rester très prudent sur l’impact positif dans les Kivus de la signature de Washington. Les résolutions de l’accord sont sur la table depuis le 27 juin dernier, et les deux principales mesures du texte n’ont toujours pas été appliquées. À savoir le retrait des troupes rwandaises du sol congolais pour Kinshasa, et la neutralisation des FDLR pour Kigali. Et comme il n’y a aucun caractère contraignant à cet accord. Rien ne s’est passé depuis plus de 5 mois.
Washington : la charrue avant les boeufs
La seconde difficulté pour que la paix s’installe réellement à l’Est de la RDC, c’est la question de l’AFC/M23 qui n’est pas partie prenante de l’accord de Washington. Pourtant, ce sont eux qui tiennent militairement le terrain et tiennent la dragée haute à l’armée congolaise au Nord et au Sud-Kivu. Le problème, c’est que le gouvernement congolais négocie avec les rebelles à Doha, dans un processus diplomatique parallèle à celui de Washington. Un processus qui est au point mort depuis plusieurs mois. La signature du 4 décembre aux Etats-Unis donne donc l’impression d’avoir mis la charrue avant les boeufs, puisque ces deux processus sont complémentaires et que la mise en oeuvre de l’un n’est pas possible sans l’autre. À ce jour, les principales dispositions de l’accord de Doha sont toujours à négocier. Depuis le printemps 2025, on a signé beaucoup de textes, de déclarations de principes, d’accords-cadre… sans qu’ils ne soient mis en oeuvre faute d’accord entre les parties.
Trump en gendarme ?
Alors, que faudrait-il pour que, enfin, les armes se taisent dans les Kivus ? Comme aucun des accords signés à Washington et Doha n’est contraignant, ce sont aux médiateurs de peser de tout leur poids pour faire plier les belligérants et leur faire accepter un compromis. Si Doha semble aujourd’hui vouloir passer la main à l’Union africaine et au Togo, il ne reste que Donald Trump pour endosser le costume du gendarme et taper du poing sur la table. Cette dernière signature à Washington nous montre que la paix n’arrivera pas par miracle dans l’Est de la RDC. On voit bien qu’avec cet accord, ou tous les points litigieux, comme la neutralisation des FDLR ou le retrait de l’armée rwandaise, restent encore à être négociés, on s’installe dans le temps long. Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour mettre en oeuvre cet accord avec des effets directs sur le terrain, alors que, pendant ce temps, les rebelles de l’AFC/M23 continuent de s’installer dans les territoires qu’ils occupent, continuent de recruter, et de nommer leur propre administration. Et plus le temps passe, plus il sera difficile de revenir en arrière, plus il sera difficile pour Kinshasa de récupérer son autorité sur ses territoires perdus. Le temps joue clairement contre la paix, et l’accord de Washington reste, pour l’instant, une « paix de papier ».
Christophe Rigaud – Afrikarabia


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