10 ans après l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, deux policiers qui ont participé à l’exécution des activistes ont décidé de tout raconter.
Coup de théâtre dans l’affaire Chebeya. Deux acteurs-clés de l’assassinat du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana, viennent de sortir de l’ombre. Les policiers Hergile Ilunga et Alain Longwa faisaient partie des exécutants, en charge du double meurtre le 1er juin 2010. Exfiltrés après leur forfait, puis maintenus en poste sous bonne garde au Katanga pendant 10 ans pour les empêcher de témoigner, les deux militaires ont pris la fuite pour se réfugier dans un pays d’Afrique de l’Est. Hergile Ilunga et Alain Longwa demandent la protection de la communauté internationale, et se disent prêts « à tout raconter » devant la justice.
« Une mission sur ordre de la hiérarchie »
Afrikarabia a pu recueillir le témoignage de l’adjudant Hergile Ilunga, qui avec Alain Longwa et quatre autres policiers, ont participé à l’assasinat du président de la Voix des sans voix et de son chauffeur. Ce 1er juin 2010, l’adjudant Ilunga du bataillon Simba, responsable de la sécurité et chauffeur du colonel Daniel Mukalay, est appelé à se rendre à l’Inspection générale de la police avec son véhicule de service. « Nous nous sommes retrouvés dans la cour à six policiers avec le major Christian Ngoy qui est monté voir John Numbi, le chef de la police, et Daniel Mukalay. Christian Ngoy est revenu et nous a expliqué que, sur ordre de la hiérarchie, nous avions une mission à effectuer aujourd’hui. Mais nous ne savions pas de quelle mission il s’agissait » témoingne Hergile Ilunga
Eliminer Chebeya et Bazana
Un peu avant 17 heures, une voiture Mazda grise fait son entrée dans la cour de l’Inspection générale de la police. A son bord se trouve le célèbre militant des droits de l’homme congolais, Floribert Chebeya et son chauffeur Fidèle Bazana. Le président de la Voix des sans voix (VSV) a rendez-vous avec le patron de la police, John Numbi, un proche du président Joseph Kabila. Les six policiers mobilisés par Christian Ngoy savent maintenant qu’ils doivent éliminer le défenseur des droits de l’homme et son chauffeur. « Chebeya s’est rendu dans les bâtiments du protocole où se trouvait le major Paul Mwilambwe qui était chargé d’accueillir les visiteurs, raconte Hergile Ilunga. A 19 heures, on nous a demandé d’emmener dans mon véhicule le chauffeur de Chebeya, qui était toujours dans la cour de l’Inspection générale de la police. Dans ma voiture se trouvait le reste de l’équipe : Sadam et Jacques Mugabo. On a menotté Bazana pendant que moi j’étais au volant. Ensuite, on l’a étouffé avec un sac sur la tête et du scotch. On l’a tué dans mon véhicule. »
Le lieu d’inhumation de Bazana est connu
Les policiers viennent ensuite chercher Flobert Chebeya qui attendait toujours son rendez-vous avec John Numbi. Ils l’amènent dans un autre véhicule où se trouvaient le lieutenant Bruno Soti, Doudou Ilunga et Jacques Mugabo, qui était venu les rejoindre. « Ils ont aussi étouffé Chebeya avec un sac sur sa tête et du scotch, affirme Hergile Ilunga. Les deux véhicules sont partis et nous sommes allés dans la concession du général Jajija à Mitendi où une tombe était déjà creusée et nous avons enterré Fidèle Bazana ici. » Des précisions qui rejoignent le témoignage de Paul Mwilambwe, qui avait déjà indiqué sur un schéma le lieu d’inhumation de Fidèle Bazana lors d’un entretien avec le réalisateur Thierry Michel. Paul Mwilambwe avait visité la parcelle en 2008 avec Christian Ngoy qui désirait l’acheter. Après le double meurtre, ce dernier lui avait alors indiqué que le corps de Fidèle Bazana avait été enterré à cet endroit.
Exfiltration vers Lubumbashi
« Nous avons ensuite déposé Chebeya près du cimetière de Mbenseke, poursuit Hergile Ilunga, Alain Longwa conduisait sa voiture » Ce n’est que le lendemain, le 2 juin 2010, que les policiers découvrent l’identité de leurs deux illustres victimes. L’affaire fait d’ailleurs grand bruit à Kinshasa. Hergile Ilunga nous explique qu’ils ont ensuite été amenés dans la résidence du général John Numbi avant d’être exfiltrés en pleine nuit, par avion cargo, vers Lubumbashi. « Des officiers nous ont accueilli à notre arrivée à l’aéroport pour nous amener à la ferme de John Numbi ».
« Otages » en brousse
Dans la ferme katangaise du patron de la police, se retrouvent Christian Ngoy, Jacques Mugabo, Sadam et Hergile Ilunga. « La deuxième équipe est venue nous rejoindre la semaine suivante » précise le policier, qui se souvient ensuite être resté cinq mois dans la ferme de John Numbi « avant qu’un colonel de la police des mines soit contacté. Monsieur Félicien, qui est aujourd’hui décédé, nous a trouvé des postes en brousse. Luishia, Kambove, Kolwezi… Nous étions toujours en poste en brousse. C’était une manière de nous garder éloigner de tout, comme des otages. »
La fuite
Au coeur de l’été 2020, alors que les policiers qui ont participé au double assassinat sont toujours en poste, en toute discrétion depuis 10 ans, un rapport de la Fondation Bill Clinton, relayé par notre site, révèle leurs identités et leurs fonctions au sein des services de sécurité du Katanga. La nouvelle sème le trouble chez les policiers. « Christian Ngoy nous a convoqué chez lui et nous a dit qu’il y avait un problème et que nous avions l’ordre de rejoindre la ferme de John Numbi sur la route Kasenga » se rappelle Hergile Ilunga. Mais le policier sent le piège. « J’ai dit non ! Je savais que si je trahissais ma hiérarchie, on me tuerait. C’est pour cela que j’ai immédiatement décidé de fuir avec Alain Longwa. ».
Christian Ngoy en prison
Le 3 septembre 2020, l’histoire s’accélère avec l’arrestation surprise de Christian Ngoy à Lubumbashi. Officiellement, l’officier est interpellé à la suite des violences de l’été dans le Katanga, et notamment l’assassinat de quatre militants UDPS en marge des manifestations contre la désignation du président de la Commission électorale. Christian Ngoy est transféré dans la soirée à la prison militaire de Ndolo à Kinshasa. Avec l’arrestation de Christian Ngoy et la fuite et le témoignage des deux policiers, Hergile Ilunga et Alain Longwa, toutes les pièces du puzzle sont réunies pour que l’affaire Chebeya soit relancée. D’autant que depuis plusieurs années, un témoin-clé du dossier Chebeya, Paul Mwilambwe, réfugiés en Belgique, demande à être entendu par la justice.
Paul Mwilambwe, témoin oculaire
Le témoignage d’Hergile Ilunga et Alain Longwa apporte un éclairage crucial sur le déroulé du double meurtre de Chebeya et Bazana. Le récit des deux policiers vient surtout valider celui de Paul Mwilambwe, qui a assisté aux assassinats devant les écrans de ses caméras de surveillance. Hergile Ilunga a confirmé à Afrikarabia que Paul Mwilambwe était bien un témoin oculaire et « n’avait jamais été mis au courant » du projet d’élimination du militant des droits de l’homme et de son chauffeur.
« Sous le commandement de Christian Ngoy »
Depuis la Belgique, le major Mwilambwe salue le courage des deux policiers qui ont décidé d’avouer leur participation au double assassinat. « Ces témoignages recoupent ce que je dis depuis longtemps, notamment sur le fait que l’exécution de Bazana et Chebeya s’est bien déroulée dans les locaux de l’Inspection générale et que ces policiers étaient sous commandement de Christian Ngoy ». Paul Mwilambwe demande la réouverture du dossier pour que Hergile Ilunga, Alain Longwa et bien sûr Christian Ngoy puissent être entendus et corroborer son témoignage. Mais surtout, le témoin-clé de l’affaire Chebeya souhaite avant tout la protection de la communauté internationale pour lui-même, sa famille, mais aussi pour les deux policiers.
« Des intimidations sur nos familles »
Paul Mwilambwe craint toujours pour sa vie et Hergile Ilunga redoute des pressions sur ses proches restés au Katanga. « Après notre disparition, on nous a beaucoup cherché. Il y a des intimidations sur nos familles. Une équipe a même été mise en place pour nous rechercher ». D’ailleurs, depuis leur départ, Hergile Ilunga et Alain Longwa n’ont pas eu de nouvelles des autres policiers impliqués dans l’affaire et qui étaient toujours en poste au Katanga. Se sont-ils rendus à la convocation de John Numbi dans sa ferme de Lubumbashi ? Se sont-ils enfuis ? Sont-ils encore vivants ? Hergile n’a plus aucun contact.
Selon nos informations, les lieutenants Bruno Nyembo Soti et Jacques Mugabo, l’adjudant Ngoy Mulanga (le chef de poste à l’entrée principale de l’Inspection générale de la police le 1er juin 2010), et le brigadier-chef Doudou Ngoy Ilunga se trouveraient toujours dans la ferme de Lubumbashi du général John Numbi. Pour les témoins et acteurs de l’affaire Chebeya, leur sécurité reste leur principale préoccupation. « Tant que Joseph Kabila et John Numbi sont toujours libres au Congo, ma vie est en danger » s’inquiète Paul Mwilambwe.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Depuis la Colombie je salue de tout mon coeur le courage, un peu tardive, mais….
A l’epoque de l’assassinat de Chebeya et son chauffeur j’étais encore á Kinshasa et j’avais reçue documentation écrite de Mwilanbwe oú il decrivait les falta. J’avais demandé au SRSG depecher uu Sénegal une personne pour s’enquerir de cette situation, mais on l’a pas fait malheuresement.
J’espére que Numbi va en fin étre jugué et condanné
J’ai salue la bravoure de ses deux policiers et je demande une protection de la communauté internationale pour eux. et aux autorités congolaises, que justice soit faite pour Floribert Chebeya et Bazana.
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