L’arrestation de Vital Kamerhe pourrait être le point départ du grand ménage promis par Félix Tshisekedi, qui a fait de la lutte contre la corruption sa priorité numéro une. Jusqu’où ira le nouveau président ? Attention à « l’effet Canada Dry ».
L’heure du grand déballage est-elle venue ? Depuis le 8 avril au soir, le directeur de cabinet du président de la République, Vital Kamerhe, dort en prison. L’allié politique de Félix Tshisekedi est accusé d’avoir « détourné des fonds de l’Etat » en tant que superviseur des travaux du « programme des 100 jours » lancé par le président. Ce week-end, le tribunal a rejeté sa demande de remise en liberté et l’a placé en détention préventive pour au moins 15 jours supplémentaires. Les magistrats n’ont pas été tendres avec le très puissant patron de l’UNC, carte maîtresse de l’accession au pouvoir de Félix Tshisekedi. Le ministère public estime que « l’inculpé a bien pris une part active aux opérations d’attribution de marchés », que « son maintien en détention est impérieuse pour la poursuite de l’instruction » et qu’il y a « des indices sérieux de culpabilité ».
47 millions de dollars évaporés
L’ordonnance que nous avons pu consulter révèle clairement ce qui est reproché à Vital Kamerhe. Notamment l’attribution de marchés publics de gré à gré « à des entreprises fictives, comme Samibo », affaire dans laquelle « 47 millions de dollars ont disparu du circuit bancaire (…) en liquide ». Autre marché de gré à gré litigieux, selon le ministère public : l’attribution d’un contrat de 10 millions de dollars à l’entreprise Trade Plus pour la fourniture de médicaments « alors que cette dernière n’est pas dans le domaine pharmaceutique, et tient juste une quincaillerie » ironise l’ordonnance du tribunal de Kinshasa-Matete. Des médicaments qui se trouvaient au final être périmés.
La responsabilité est ailleurs selon Kamerhe
Vital Kamerhe nie en bloc les accusations du parquet. Selon ses conseils, qui rappellent que leur client bénéficie de la présomption d’innocence, la responsabilité de ses possibles détournements incomberaient au précédent gouvernement Tshibala, sous la présidence de Joseph Kabila, ou, concernant l’affaire des médicaments, au ministre de la Santé Eteni Longondo. Les avocats de Vital Kamerhe estiment enfin que le directeur de cabinet de la présidence n’avait pas dans ses attributions le suivi des fonds payés et notent que ni le gouverneur de la BCC, ni les ministres concernés n’ont été convoqués par le parquet.
Effet domino ?
L’affaire Kamerhe ne serait que la face immergée de l’iceberg. Certains y voient le début du grand ménage promis par le président Félix Tshisekedi, qui a fait de la lutte anti-corruption la principale priorité de son mandat. Car après Vital Kamerhe, c’est un véritable déluge de d’arrestations qui s’est abattu sur les responsables des travaux du programme des 100 jours. Le procureur général de Kinshasa a placé en détention le directeur général du Fonds national d’entretien routier (Foner), Fulgence Bamaros. Puis c’est au tour de Benjamin Wenga, le directeur de l’Office de voirie et drainage (OVD) d’être transféré à la prison de Makala ce samedi. Plusieurs autres personnes ont également été convoquées et entendues par la justice, comme Thierry Taeymans, l’ancien directeur général de la Rawbank ; Pamela Kabasele, une agent de la Rawbank ; Amida Shatur, la femme de Vital Kamerhe ; et un responsable de la Banque commerciale du Congo (BCDC).
Ce n’est qu’un début…
Les organisations de la société civile, à l’image du collectif « Le Congo n’est pas à vendre » (CNPAV), veulent croire que la détention de Vital Kamerhe, n’est que le début d’une longue liste d’affaires de détournements d’argent public présumés à ouvrir. Les Congolais sont toujours sans nouvelles des 15 millions de dollars de rétro-commission des sociétés pétrolières qui ne sont jamais rentrés dans les caisses de l’Etat, et dont le nom de Vital Kamerhe plane également. Quid des 128 millions de dollars que la Gécamines a emprunté à une société de Dan Gartler, un proche de l’ancien président Kabila, avant que celui-ci ne soit placé sous sanctions américaines pour corruption ? Pas de nouvelles non plus des détournements orchestrés à travers la BGFI Bank, révélés par le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba – voir notre interview. « Aujourd’hui il n’existe aucune poursuite sur le sujet en RDC » s’indigne le collectif « Le Congo n’est pas à vendre ».
Et Kabila ?
Pour savoir si les enquêtes anti-corruption sur le programme des 100 jours ne sont pas qu’un simple écran de fumée du président Félix Tshisekedi, il faudra également que la justice aille fouiller du côté de l’entourage de l’ancien président Kabila, dont des ONG estiment sa fortune à plusieurs centaines de millions de dollars, et dont les proches ont des parts dans plus de 80 sociétés. Il faudra également rouvrir le dossier Gécamines, le géant minier congolais qui a toujours servi de tiroir-caisse à l’élite dirigeante congolaise, depuis Mobutu jusqu’à Kabila fils – voir notre article.
Yuma en ligne de mire
L’ONG Global Witness, qui a épluché les comptes de la Gécamines, affirme que le Trésor congolais a perdu plus de 750 millions de dollars en revenus miniers entre 2013 et 2015. Des millions évaporés, dont une partie au moins « a été répartie entre plusieurs réseaux de corruption liés au régime du président Joseph Kabila » estime Global Witness – voir notre article. Dans le viseur, on trouve Albert Yuma, le très puissant patron de la Gécamines, qui pour le moment n’a pas été inquiété par la justice.
Nettoyer les écuries d’Augias
Pour que l’opération mains propres en soit vraiment une, il faudra que le président Tshisekedi ait les épaules solides. Premièrement pour ne pas être lui-même éclaboussé par certaines pratiques de son entourage, et deuxièmement pour avoir le courage d’affronter les proches de son « partenaire » Joseph Kabila, qui ont trempé dans la corruption et les malversations. L’arme de la lutte anti-corruption pour faire le ménage est une pratique courante, surtout en Afrique. On le voit actuellement en Angola, avec les ennuis judiciaires qui s’accumulent pour le clan de l’ancien président dos Santos. En RDC, Félix Tshisekedi pourrait fait d’une pierre deux coups : nettoyer le pays des corrompus, et se débarrasser de ses concurrents politiques. Reste à savoir si le président congolais en a les moyens, et si la justice et les services de sécurité vont le suivre.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Félix doit oser de camper sur cette position d’anti-corruption même si lui-même y a trempé le doigt d’une manière ou d’une autre, bravo à la justice
Finie la recréation de malfrats. Arrêtez-moi Kabila SVP
sur les traces de Laurent Desire K. RIP