Le visite d’Etat du président Ismaël Omar Guelleh à Paris le 28 février passe mal pour l’opposition djiboutienne qui dénonce « les emprisonnements arbitraires et la verrouillage de l’espace politique » dans ce micro-Etat stratégique de la corne de l’Afrique et très courtisé par les grandes puissances. Mahamoud Djama est coordinateur pour l’Europe du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement (MRD).
Afrikarabia : comment expliquez-vous cette visite de dernière minute du président djiboutien à quelques semaines de la fin du mandat de François Hollande ?
Mahamoud Djama : Cette visite d’Etat en pleine campagne électorale en France pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. On peut se demander si c’est une tentative de retour désespérée de la France dans le jeu géostratégique qui occupe les grandes puissances. Mais lorsqu’on reçoit un dictateur dans ce contexte électorale, on peut aussi se demander s’il n’est pas question de « valises »… De toute façon, avec cette visite, on continue avec le reniement des promesses de François Hollande. « Moi président je ne recevrai pas de dictateur à l’Elysée » avait dit le candidat Hollande. C’est désormais chose faite. Il ne devrait pas dérouler le tapis rouge à Guelleh.
Afrikarabia : Que devrait dire François Hollande à Ismaël Omar Guelleh ?
Mahamoud Djama : Il y a deux messages symboliques que la France pourrait faire passer auprès d’Ismaël Omar Guelleh. Tout d’abord au sujet des prisonniers politiques. Le cas le plus célèbre est celui de Mohamed Ahmed dit « Jabha » (militant du Front pour la Restauration et l’Unité de la Démocratie – FRUD) qui est en prison depuis 7 ans. Alors que la justice n’a retenu aucune charge contre lui, le régime continue de le maintenir en prison. Est-ce que le président peut dire « ça suffit, il faut le faire sortir ». Ce serait un signal fort. Le président français pourrait enfin demander à monsieur Guelleh d’ouvrir l’espace politique qui est complètement verrouillé actuellement. Les accords de 2014 signés avec la coalition d’opposition USN n’ont jamais été appliqués par le régime djiboutien. Le président Hollande pourrait demander l’application de ces accords. Mais je ne suis pas vraiment optimiste.
Afrikarabia : Il y aura un nouveau président de la République en France au printemps. Que souhaiteriez-vous dire au prochain président français ?
Mahamoud Djama : Je lui dirai de prendre en compte la misère du peuple africain. Pas pour les intérêts de l’Afrique, mais pour ceux de la France. Une misère qui se traduit par une immigration massive. C’est une immigration économique, mais c’est aussi la fuite des répressions politiques violentes sur le continent. Il faut stopper le problème de l’immigration à la base. Le prochain président français sera-t-il capable de le comprendre ? Le seul que j’ai entendu sur ce sujet est Jean-Luc Mélenchon… les autres, je ne les ai pas entendu. La question africaine a été complètement absente des primaires de droite et de gauche. C’est vraiment dommage. Le prochain président devrait pendre en compte cette demande du peuple africain : accéder à la démocratie. C’est dans l’intérêt de la France de soutenir les démocrates africains.
Afrikarabia : Où en est la recomposition de l’opposition après la réélection d’Ismaël Omar Guelleh en 2016 ?
Mahamoud Djama : Une petite partie de l’opposition avait décidé de participer à la mascarade présidentielle de 2016, mais notre mouvement, le MRD, avait boycotté les élections après l’abandon par le pouvoir de l’accord de 2014. En février, les élections municipales ont cette fois été boycottées par l’ensemble de l’opposition. Si ces mêmes partis avaient boycotté la présidentielle de 2016, nous n’en serions pas là. Aujourd’hui, on essaie d’aider cette opposition à se recomposer et à proposer aux Djiboutiens une autre alternative. Notre parti est désormais sur le terrain social puisque le pays traverse une importante crise économique. Si il y a de l’argent à Djibouti, il ne profite absolument pas à la population. Le MRD est en train de jouer un rôle social à Djibouti. Il n’y a pratiquement aucune ONG, sauf celles fabriquées par le régime. Voilà désormais le rôle du MRD.
Afrikarabia : Comment est-ce que vous envisagez les prochaines échéances électorales à Djibouti qui sont les législatives de 2018 ?
Mahamoud Djama : Si le blocage politique se poursuit, il n’y a rien à attendre. Mais il y a un risque d’explosion à Djibouti au vu de la situation économique désastreuse. Lors des dernières municipales, 90% des Djiboutiens sont restés chez eux, c’est un signe. Si le régime continue sur cette voie, on risque l’affrontement. Il faut donc absolument une ouverture politique à Djibouti.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia