Une enquête d’experts internationaux révèle que les rebelles ougandais des ADF ne sont pas les seuls responsables des massacres de la région de Beni. Des militaires de l’armée régulière (FARDC) et d’anciens miliciens du RCD-KML seraient également au banc des accusés.
Un rapport du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) apporte un nouvel éclairage sur les tueries de Beni. Depuis octobre 2014, plus de 500 personnes ont été tuées, principalement à l’arme blanche, autour de la ville de Beni. Une série de massacres sans fin que les autorités congolaises attribuent régulièrement aux Allied Democratic Forces (ADF), une rébellion ougandaise installée depuis plus de 20 ans en République démocratique du Congo (RDC). Mais selon une enquête du GEC, qui a pu interroger une centaine de témoins directs, les responsabilités des tueries ne s’arrêtent au cercle des simples ADF. Des officiers des FARDC, l’armée régulière, et des anciens rebelles du RCD-KML seraient également impliqués.
Des coupables idéaux
Au début des tueries, en octobre 2014, l’implication des ADF dans les assassinats de civils paraissait pourtant « logique ». Ces tueries intervenaient « juste après le démantèlement des bastions des ADF par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Les partisans de cette théorie disent que les ADF auraient été motivées par un esprit de vengeance à l’encontre des populations locales parce que celles-ci les auraient trahis » explique le rapport du GEC. Une hypothèse qui « ne correspond pas vraiment aux habitudes et aux stratégies du mouvement. Les ADF ne se sont jamais engagées dans une insurrection prolongée contre l’État congolais. Leur objectif affiché est de renverser le gouvernement ougandais ». Si la responsabilité des ADF est avérée dans certains massacres, plusieurs témoins affirment que d’autres groupes armés congolais auraient également participé aux tueries. Notamment le RCD-KML. « Les liens se sont renforcés avec le groupe rebelle RCD/KML, notent les experts, suite aux tensions nées au sein du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et entre ses parrains rwandais et ougandais ». Des anciens soldats de la branche armée du RCD-KML, ont reconnu avoir participé à certains massacres dès 2014. Ils confirment même la participation de John Tshibangu et du Capitaine Matondo (des cadres du RCD-KML).
Les FARDC complices ?
Plus grave, l’arme congolaise (FARDC) serait également impliquée dans les massacres de Beni. Pour les experts du GEC, il y a complicité « passive » mais aussi « active » de certains officiers congolais. « Selon plusieurs témoignages, les FARDC refusent d’intervenir pendant, ou plutôt, juste après les massacres. La non-assistance à personne en danger se manifeste par la non-poursuite ou la poursuite tardive des tueurs même lorsque les FARDC ont été alertées à temps » note le rapport. Plus accablants, affirme l’enquête, « les témoignages recueillis sur le terrain qui suggèrent que certains officiers auraient interdit aux soldats d’intervenir au moment des massacres ». C’est le cas à Ngadi pendant l’attaque du 14 octobre 2014. Un sous-lieutenant témoigne : « Quand on a tué les gens de Ngadi, nous avions reçu l’ordre par Motorola de la part du colonel Murenzi, notre chef, de ne pas sortir, de rester standby, de ne pas faire le patrol autour du camp ». D’autres témoignages dans ce sens ont également été recueillis par la mission parlementaire congolaise.
« Des soldats payés 250$ par tête coupée »
Le rapport du GEC décrit ensuite des participations directes des FARDC aux massacres. « Un policier, qui a mené des enquêtes sur les tueries répétées dans la contrée de Mayangose en février et mars 2015, affirme qu’il a obtenu des preuves que les membres du 1006ème régiment basés à Kithahomba (à 5 km sur l’axe Beni-Nyaleke) seraient les auteurs de ces tueries ». Ce policier explique ensuite que les enquêteurs de la police nationale ont attribué la responsabilité aux ADF « pour se couvrir ». Selon les experts, certains FARDC seraient même payés par les groupes de tueurs pour participer aux massacres : « À Mayangose et dans ses environs, nos enquêteurs ont entendu à plusieurs reprises cette affirmation selon laquelle les tueurs seraient payés 250 $ par tête coupée ». Dans ce marigot de groupes armés et de militaires véreux, la Monusco, la mission des Nations unies au Congo a également sa part de responsabilité. Un seul mot peut qualifier la mission des casques bleus dans l’Est du pays : impuissance. Un officier de la Monusco s’est plaint que « les troupes de la FIB (la Brigade d’intervention de l’ONU) à Beni n’ont presque jamais fait des patrouilles à pied en brousse (sic) pour observer les mouvements des ADF et protéger la population ». Face à cette insécurité qui perdure dans l’Est de la RDC, les experts du GEC demandent des enquêtes et des investigations poussées afin d’établir les responsabilités dans ces massacres. Enfin, la mission des casques bleus doit également être réorientée pour être plus efficace face aux groupes armés.
« L’arbre qui cache la forêt »
Du côté du gouvernement congolais, on ne semble pas très convaincu par la démonstration du rapport du GEC. Le porte-parole, Lambert Mende estime que cette enquête « n’est pas un scoop. Nulle part il n’est prouvé que ce sont des unités FARDC répondant aux ordres de leur hiérarchie qui auraient participé à quelque tuerie que ce soit à Beni ». Et de préciser : « On aura constater avec quelle facilité les auteurs sont passés de « certains membres des FARDC », à l’affirmation selon laquelle les FARDC ont participé aux massacres de Beni. Cela s’appelle : généralisation abusive » conclut Lambert Mende. Mais la principale leçon de cette enquête du GEC est ailleurs. Ce que démontre Jason Stearns et ses experts, c’est la grande hypocrisie des autorités congolaises qui dissimulent les nombreux dysfonctionnements de son armée derrière un groupe armé : les ADF. Enfin, le dernier enseignement des massacres de Beni est la non stabilisation du Nord-Kivu malgré la défaite des rebelles du M23, fin 2013. Un an après la fin de cette rébellion, de nouveaux massacres reprenaient dans la zone alors que Kinshasa criait encore victoire. Comme le dit très bien la conclusion du rapport du GEC : « les ADF représentent aujourd’hui l’arbre qui cache la forêt et derrière lequel d’autres acteurs tentent de fuir leur responsabilité ».
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Sans une justice réelle la paix sera toujours typothèque en RDC. Que la poursuite des violeurs des Droits de l’Homme soit faite. Auteurs et complices.