Une affaire d’agressions sexuelles présumées empoisonne actuellement les renseignements militaires. Deux femmes ont porté plainte contre le général Patrick Sasa Nzita devant l’auditorat militaire. Une première au sein des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) où règne l’omerta sur le sujet.
Il a fallu un incroyable courage au Lieutenant-colonel Viviane Masika Mupira et Jolie Epanzo, personnelle civile à l’état-major du renseignement militaire, pour briser le silence. Ces deux femmes accusent un haut gradé, le général de brigade Patrick Sasa Nzita, chef du département intérieur de l’ex-DEMIAP, de viol et agression sexuelle présumés. La Lieutenant-colonel Viviane Masika a déposé plainte le 28 août dernier devant l’auditorat militaire, malgré les menaces de Patrick Sasa. Elle a raconté en détail ce qui lui était arrivé le 16 mai 2024. Ne réussissant pas à joindre le sous-chef d’état-major du renseignement concernant un dossier urgent, elle contacte un de ses adjoints, le général Patrick Sasa. L’officier supérieur lui fixe rendez-vous, non pas dans son bureau de l’état-major du renseignement, mais dans la commune de Bandal, quartier Tshibangu, aux environs de la boutique Galaxy et du supermarché Kin marché. Sur place, elle téléphone au général qui lui annonce qu’il se trouve à l’hôtel Le Prince. Ironie du sort, cet hôtel appartenait à Corneille Nangaa, aujourd’hui en fuite pour avoir rejoint la rébellion M23, avant d’être confisqué par le renseignement militaire. A l’hôtel, Patrick Sasa invite Viviane Masika à monter avec lui à l’étage pour discuter du dossier, et demande aux quatre militaires qui accompagnent la Lieutenant-colonel de rester à la réception. Selon la plaignante, c’est dans une chambre que le général l’aurait forcé à avoir une relation sexuelle. Devant l’auditorat militaire, le général Sasa Nzita a nié, lors de la confrontation, l’accusation de viol et parle d’un acte consenti.
Agression et menaces
La seconde affaire concerne une personnelle civile travaillant au sein du renseignement militaire, Jolie Epanzo. Le général Sasa Nzita lui propose de partir en mission de service avec lui à Johannesburg, en Afrique du Sud, du 27 janvier 2023 au 4 février 2024. Le général avait intégré dans la mission son assistant, le capitaine Jonathan Lembe et son garde du corps, le sous-lieutenant Grâce Itumba, mais aussi Ashley sa propre fille. Ils étaient tous logés à l’hôtel Léonard à Sandton, en banlieue de Johannesburg. Trois jours avant le retour à Kinshasa, Patrick Sasa Nzita monte au 26ème étage, dans la chambre occupée par Jolie Epanzo. Selon le témoignage de la plaignante, le général aurait refermé la porte à clé derrière lui, avant de la pousser sur le lit pour la contraindre à avoir une relation sexuelle. Jolie Epanzo se débat. Craignant que les bruits alertent le personnel de l’hôtel, Patrick Sasa quitte la chambre et menace de mort Jolie Epanzo. Lors de la confrontation à l’auditorat militaire du 27 août dernier, le général a rejeté l’accusation de tentative de viol et soutient que Jolie Epanzo était sa maîtresse. Devant l’auditorat militaire, l’officier supérieur a accusé Jolie Epanzo et Viviane Masika d’être instrumentalisées et manipulées voire payées par d’autres généraux qui le jalousent et qui sont déterminés à avoir sa tête.
Le mur du silence enfin brisé
L’affaire Patrick Sasa pourrait également rebondir à l’étranger. En Belgique précisément. Le général Sasa possède en effet la nationalité belge. Les avocats des deux plaignantes sont entrés en contact avec un confrère belge pour coordonner leurs actions. Mais le plus important dans cette affaire, c’est que, pour la première fois, le mur du silence est enfin brisé dans l’armée congolaise. Jolie Epanzo et Viviane Masika souhaitent que les agressions sexuelles au sein des FARDC soient enfin reconnues et leurs paroles écoutées. « Les cas sont très nombreux, c’est une réalité », selon elles. Les personnelles militaires féminines (PMF) n’osent pas porter plainte de peur de ne pas être crues, mais aussi par peur de ne pas être promues, d’être rétrogradées ou privées de la prime mensuelle versée par l’armée. Un premier pas décisif vient pourtant d’être franchi au Congo avec les témoignages de Jolie Epanzo et Viviane Masika… pour libérer la parole.
Christophe Rigaud – Afrikarabia