Avec un calendrier électoral encore flou, des manifestations annoncées en début d’année, un dialogue politique au point mort, une augmentation des arrestations et de la répression contre les opposants politiques et l’insécurité qui perdure à l’Est… l’année à venir s’annonce agitée au Congo.
Il ne faut pas être grand clerc pour prédire une année 2016 mouvementée en République démocratique du Congo (RDC). Principale cause : l’incertitude qui plane sur la tenue de la prochaine élection présidentielle prévue normalement fin 2016. Joseph Kabila effectue, selon la Constitution, son dernier mandat, mais l’opposition l’accuse de vouloir reporter les élections, afin de rester au pouvoir au-delà du délai constitutionnel. Alors que sept scrutins étaient fixés entre 2015 et 2016, aucun n’a pu avoir lieu. Les élections locales ont été jugées « trop complexes et trop coûteuses » et les élections des gouverneurs des nouvelles provinces ont été remplacées par une simple nomination de « commissaires spéciaux », toujours faute d’argent selon le gouvernement.
Retards et « tripatouillages«
Mais le « glissement »du calendrier électoral tant redouté par l’opposition n’est pas une simple vue de l’esprit. Les obstacles semblent s’accumuler pour organiser dans les temps les élections générales. Pourtant, en moins d’un mois, le président Joseph Kabila s’est adressé par trois fois aux Congolais. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a rassuré personne. Pour le président congolais, l’argent manque et il faut revoir le mode de scrutin « pour des élections moins coûteuses » – voir notre article. Le ministre Typhon Kin Kiey avait déjà proposé l’élection du président au scrutin indirect. Une disposition qui fait bondir l’opposition qui craint la corruption des grands électeurs. Entre retards et tripatouillages, un porte-parole de la majorité présidentielle, André-Alain Atundu, a lancé un dernier ballon d’essai en fin d’année, en affirmant que les élections ne pourraient se tenir d’ici 2 à 4 ans. En cause : les moyens financiers à réunir et fichier électoral « à nettoyer », notamment pour intégrer les nouveaux majeurs.
Plusieurs manifestations annoncées
Début 2015, le gouvernement avait déjà tenté de repousser les élections en conditionnant la tenue du scrutin à un recensement de la population, qui pouvait prendre… plusieurs années. Une forte mobilisation populaire avait alors fait plier le parlement, qui fait fini par retirer l’article litigieux. Mais à quel prix ? Les manifestations de janvier avaient été violemment réprimées par les forces de l’ordre. « Au moins 42 personnes ont été tuées » selon les ONG, lors des 4 jours de manifestations à Kinshasa et Goma – voir notre article. Pour l’année à venir, le Front citoyen 2016, une importante coalition d’opposition et de la société civile, a posé une « ligne rouge » au gouvernement pour publier un calendrier électoral consensuel. Il s’agit du 31 janvier 2016. Mais, le 19 janvier, l’opposition sera déjà dans la rue pour commémorer les manifestations de 2015. Un premier test de mobilisation à haut risque avant la manifestation traditionnelle du 16 février 2016, commémorant la marche des chrétiens de 1992 –voir notre interview de Martin Fayulu. Ce début d’année sera donc tendu dans les rues de Kinshasa, Goma et sûrement Lubumbashi, où les principaux leaders locaux katangais ont rejoint l’opposition à Joseph Kabila au sein du G7 – voir notre article. Depuis la création du parti des frondeurs de la majorité, toutes les manifestations ont été interdites dans les rues de la capitale du cuivre… même celles censées honorer la victoire du club de football (TP Mazembe), appartenant au très populaire Moïse Katumbi, désormais rival du président Kabila – voir notre article.
Dialogue de sourd
Pour contrer la crise politique annoncée, le président Joseph Kabila a décidé de convoquer un dialogue national. Objectif déclaré du chef de l’Etat : trouver « un consensus responsable » afin de « donner une chance à la relance du processus électoral et de garantir la stabilité et la paix pendant et après les élections ». Une négociation qui risque, au final, de ne porter que sur le maintien au pouvoir du président congolais au-delà de 2016. L’opposition a répondu « non » au dialogue redoutant un simple partage du pouvoir et la création d’un possible gouvernement de transition qui rallongerait le mandat du président actuel – voir notre interview de Jean-Bertrand Ewanga. Seule l’UDPS de l’opposant historique Etienne Tshisekedi avait répondu présent, conditionnant sa participation à une médiation internationale et au respect de la Constitution. Si le fils Tshisekedi, Félix, semblait tout d’abord le plus favorable au dialogue alors que le père paraissait encore réticent ; la donne s’est inversée après quelques mois et notamment après la rencontre de l’opposition de Gorée. Félix Tshisekedi s’est alors rapproché des anti-dialogue au Sénégal, alors que le Secrétaire général du parti, Bruno Mavungu, censé représenter la ligne officielle, continuait de prôner la présence de l’UDPS au dialogue. Au sein du parti d’opposition, pro et anti-dialogue se sont fortement opposés, créant de fortes tensions et l’émergence d’une fronde de 27 cadres de l’UDPS.
Répression politique accrue
Si l’année 2016 risque d’être agitée en RDC, l’année 2015 l’a été sur le front de la répression politique. L’opposition et les associations des droits de l’homme dénoncent « un retour à l’Etat policier ». Au banc des accusés : les forces de l’ordre congolaise. Les manifestations de l’opposition ont été violemment réprimées à Kinshasa et Goma en janvier 2015. Les ONG font le triste bilan « d’au moins 42 morts ». Mais la découverte en avril d’une fosse commune de plus de 400 corps à Maluku fait craindre qu’il pourrait s’agir des victimes de la répression de janvier qui, en plus des morts, a fait de nombreux « disparus » – voir notre article. Des allégations niées par les autorités congolaises qui affirment qu’il s’agit « de corps d’indigents provenant de l’hôpital central de Kinshasa ». Répression toujours : en octobre, Human Rights Watch (HRW) accuse les responsables des services de sécurité et du parti présidentiel (PPRD) d’avoir recruté des voyous pour attaquer et perturber la manifestation de l’opposition du 15 septembre à N’Djili – voir notre article. Les ONG dénoncent enfin la recrudescence des « arrestations politiques ». Des anciens membres de la majorité, passés dans l’opposition, se sont retrouvés en prison en 2015, comme Vano Kalembe Kiboko ou Jean-Claude Muyambo, arrêté pendant les manifestations de janvier. Christopher Ngoyi, un défenseur des droits de l’homme a également été interpelé en janvier et transféré à la prison de Makala pour sa participation aux manifestations contre la loi électorale. Enfin, Fred Bauma et Yves Makwambala, membres du mouvement citoyen la Lucha, sont détenus depuis mars, sans procès, après avoir été détenus 50 jours par les services de renseignements congolais (ANR) – voir notre article.
Insécurité persistante à l’Est
Deux ans après la fin de la rébellion du M23, l’insécurité règne toujours à l’Est du Congo. Plus de 70 groupes armés sont encore recensés au Nord et au Sud-Kivu. Human Rights Watch (HRW), qui enquête dans la région depuis de nombreuses années, s’inquiète de « la hausse alarmante du nombre de kidnappings ». Une augmentation qui constitue « une grave menace pour la population de l’Est de la RD Congo », selon la chercheuse Ida Sawyer. En 2015, « au moins 175 personnes ont été enlevés contre rançon » au Nord-Kivu par des groupes armés – voir notre article. Mais la région la plus touchée est sans doute celle de Beni, toujours au Nord-Kivu, où plus de 400 personnes ont été sauvagement assassinées par des présumés rebelles ougandais (ADF) depuis fin 2014. Ces massacres sans fin démontrent une nouvelle fois l’impuissance de l’Etat congolais (Joseph Kabila a effectué deux visites à Beni… sans résultat), mais aussi des casques bleus de la Monusco, incapables de ramener la sécurité dans la région – voir notre article. Le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) a recensé plus de 70 groupes armés actifs dans l’Est du pays. Des groupes « plus fragmentés, moins soutenus par les puissances régionales », mais toujours aussi dangereux pour les populations civiles qui subissent pillages, vols et viols – voir notre article. En cas « d’emballement » de la contestation politique à Kinshasa, on peut supposer que l’Est du pays, encore très instable, pourrait replonger dans l’insécurité et le chaos. Mi-décembre, les autorités congolaises avaient dénoncé des « infiltrations d’ex-rebelles du M23 ». 1.000 combattants de cette ancienne rébellion auraient disparu d’Ouganda et du Rwanda après l’échec de leur rapatriement en RDC… toujours au point mort. Dernier élément en date qui démontre la faible efficacité de l’armée congolaise sur le terrain : depuis les premiers jours de 2016, une dizaine de villages du Sud-Kivu sont passés sous contrôle des milices Raïa Mutomboki.
Janvier et février 2016 : deux mois décisifs
Depuis sa réélection de 2011, entachée de nombreuses irrégularités et de fraudes massives, Joseph Kabila n’a jamais réussi à retrouver sa légitimité. Fin 2013, il a fait déjà tenté de renouer les fils de l’unité nationale au travers des Concertations… sans succès. Au fur et à mesure que la fin du mandat de Joseph Kabila se rapproche et que la perspective des élections de 2016 s’éloignent, les tensions augmentent en RDC. Pour le moment, ces tensions sont essentiellement politiques et concentrées sur la tenue (ou non) de la présidentielle avant la fin de l’année. 2016 risque donc de débuter par une épreuve de force entre majorité et opposition dans la rue avec les manifestations de janvier et février 2016. Pourtant, pour dégeler la crise politique au Congo, il y aurait bien une seule solution : que Joseph Kabila sorte de son silence et déclare que les élections générales se tiendront comme prévues fin 2016 et qu’il ne sera pas le candidat de la majorité présidentielle. Deux annonces que le président congolais ne semble pas prêt de concéder.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
à quoi d’autre pouvions-nous, congolais, nous attendre avec un pouvoir qui se maintient par l’oppression du peuple qu’il est sensé servir?