En dehors de la Majorité présidentielle, opposition, mouvements citoyens, ONG et communauté internationale donnent peu de crédit à l’accord signé entre la majorité présidentielle et une frange de l’opposition.
A peine signé, l’accord politique issu du dialogue national est loin de faire l’unanimité. Après six semaines de dialogue national et l’adoption d’un consensus aux forceps, l’accord prévoit le report de la présidentielle fin avril 2018 et le maintien au pouvoir de Joseph Kabila jusqu’à l’élection du nouveau président. Un nouveau gouvernement d’union nationale devra également être nommé avant le 8 novembre prochain avec à sa tête un Premier ministre choisi dans l’opposition. Mais la plupart des acteurs et des observateurs de la politique congolaise doutent de l’efficacité de cet accord pour apaiser les tensions dans le pays. En janvier 2015 et septembre 2016, deux manifestations anti-Kabila ont viré au bain de sang, faisant à chaque fois une cinquantaine de morts.
Un accord qui « exacerbe les tensions »
Sans surprise, le Rassemblement de l’opposition d’Etienne Tshisekedi, qui a boycotté le dialogue, rejette l’accord en bloc. Selon la grande majorité de l’opposition, l’accord « viole la Constitution et n’apporte aucune solution à la crise ». Le dialogue n’a fait « qu’exacerbé davantage les tensions délibérément créées et entretenues par Joseph Kabila qui tient à se maintenir au pouvoir alors que son second et dernier mandat expire le 19 décembre 2016 » dénonce le Rassemblement, qui « ne reconnaîtra pas le nouveau gouvernement ». L’opposition réclame toujours la libération des prisonniers politiques, la constitution d’une nouvelle Commission électorale (CENI) et prône un « nouveau dialogue » plus inclusif avec pour objectif de nommer Etienne Tshisekedi à la tête de la présidence de transition en attendant les prochaines élections. Il va de soi que le Rassemblement exige une transition « sans Kabila » qui doit quitter en décembre.
Des élections en 2018 « hypothétiques »
L’accord ne convient pas non plus au mouvement citoyen Lucha, qui dénonce un « coup d’Etat constitutionnel ». L’accord politique « n’a aucun fondement légal et aucune légitimité » pour ces jeunes militants pro-démocratie. Dans le viseur de la Lucha : le maintien au pouvoir de Joseph Kabila après le 19 décembre, la tenue « hypothétique » des élections en avril 2018 et le « partage du pouvoir y compris avec l’octroi du poste de Premier ministre à une certaine opposition ». La Lucha critique également très sévèrement la Cour constitutionnelle qui a dernièrement autorisé dans des conditions rocambolesques le report des élections et le maintien au pouvoir de Joseph Kabila – voir notre article.
« Pour un dirigeant de transition qui ne pourrait pas être candidat »
Même son de cloche pour l’ONG Human Rights Watch (HRW), très active en RDC. L’accord politique pose un problème de légitimité des signataires. « La plupart des principaux partis d’opposition de la RD Congo ont soit refusé de participer, soit seulement assisté au dialogue en tant qu’observateur, craignant qu’il ne s’agisse que d’un stratagème du président Kabila pour rester au pouvoir au-delà de son mandat » explique la chercheuse Ida Sawyer. Selon cette spécialiste, « de nombreuses figures d’opposition ont déjà rejeté l’accord, plaidant plutôt en la faveur d’un dirigeant de transition, qui ne pourrait pas être candidat à la présidence ».
Un accord et peu de garanties
Mais le principal point de litigieux de l’accord reste le sort de Joseph Kabila après le 19 décembre. Pour de nombreux observateurs, l’actuel président congolais devrait se retirer du pouvoir et laisser la main au président du Sénat, Léon Kengo, comme le prévoit la Constitution. De plus, rien n’interdit dans l’accord politique signé le 17 octobre une révision de la Constitution pendant la période transitoire. Comme rien n’interdit à Joseph Kabila de se représenter pour un troisième mandat après la transition. Autre critique : rien n’indique non plus que les élections se tiendront bien en avril 2018. Aucun financement de la CENI n’est prévu dans l’accord et les délais pourraient une nouvelle être repoussés après 2018… faute d’argent.
Une nouvelle manifestation dès le 19 novembre
Seule la majorité présidentielle se félicite de l’accord politique. Soulagé, André Atundu, porte-parole de la majorité, salue « une victoire des patriotes sur des prédictions malveillantes ». La majorité en profite également pour appeler le Rassemblement « à saisir l’opportunité qu’offre la possibilité de rejoindre la dynamique nationale en faveur d’un processus électoral consensuel en signant l’accord politique dans les meilleurs délais ». Un appel qui risque de rester lettre morte puisque le Rassemblement vient déjà de prévoir de nouvelles mobilisations populaires les 19 novembre et 19 décembre pour demander à Joseph Kabila de quitter le pouvoir.
Un « semblant de dialogue »
Du côté de la communauté internationale, la France et les Etats unis sont sur la même longueur d’onde et restent très septiques sur l’accord politique signé à Kinshasa. Mardi, Jean-Marc Ayrault, le ministre français des Affaires étrangères a été très clair sur les conclusions du dialogue national censé résoudre la crise : « Aujourd’hui, il y a un semblant d’accord qui est accepté par une petite partie de l’opposition qui ne fait pas consensus. Donc nous mettons en garde et si rien n’est fait, alors la communauté internationale devra prendre ses responsabilités. » Même lecture de la situation à Washington qui demande à Joseph Kabila de « respecter la Constitution et de quitter le pouvoir au soir du 19 décembre. » Enfin, l’Union européenne, très attentive à la dégradation de la situation des droits de l’homme en RDC, pourrait finir par sanctionner les hauts responsables de l’appareil sécuritaire congolais en gelant leurs avoirs et leur interdisant leurs déplacements.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia